L'expansion du loup en France continue. Suite au bulletin de l'ONCFS (enfin) sorti en octobre, le loup a gagné en 2016 les départements du Cher et de l'Allier, tandis que sa présence est suspectée dans la Vienne ainsi qu'aux abords immédiats de la capitale. Mais les données de l'ONCFS - office national de la chasse et de la faune sauvage - cruciales pour l'évaluation de la population du loup et la défense de leurs troupeaux par les bergers sont remises en cause à la fois par un mouvement de grève interne qui en perturbe la constitution et par la bronca des agriculteurs qui accusent les services de l'Etat de retarder au maximum la reconnaissance de l'expansion du loup. Ne serait-ce que pour ne pas alerter l'opinion publique... ni verser les indemnisations qui sont dues aux agriculteurs lorsque c'est un loup qui a tué leurs bêtes.
Carte de la présence du loup en France (2013-2016) : https://www.google.com/maps/d/embed?mid=1iW7PsnpfRL3fA0Ok2FamEG_6mso
Le 29 avril 2016, une carcasse de chevreuil consommée, à priori, par le loup, a été retrouvée à Prémilhat dans l'Allier. Mais comme les prélèvements n'ont pas été réalisés pour une raison que l'ONCFS n'explique pas, cette prédation ne permettra pas de lancer le processus de reconnaissance du loup dans le département. Celui-ci permettrait aux bergers de s'organiser, d'acheter des moyens de protection (clôtures électriques, chiens patous, etc.) et de pouvoir être informés.
« Entre les premiers prélèvements et le moment où la présence du loup est officiellement reconnue pour une prédation, il se passe de trois à six mois », explique Anne Sic, responsable du dossier loup au sein de la Confédération Paysanne. « Les analyses urgentes coûtent 150 euros, alors l'ONCFS les regroupe par paquets, et ça prend beaucoup de temps ». Mais reconnaître le loup pour une prédation n'entraîne pas sa reconnaissance dans le département et le déclenchement des procédures ad hoc pour les bergers, leur permettant d'acquérir des moyens de protection et se former. « Il faut trois indices de présence, et deux hivers consécutifs de présence pour que la présence du loup soit reconnue », explique Thomas Vernay, drômois et spécialiste du loup au sein de la Confédération Paysanne. « C'est complètement inadapté, car le loup disperse sur des territoires importants - il peut faire plusieurs dizaines de kilomètres par jour - et il peut seulement passer sur un territoire donné, attaquer un troupeau puis s'en aller plus loin ».
Dans le Cher, des poils de loup ont été retrouvés à Augy-sur-Aubois le 14 mai 2016. Mais le loup semble avoir été présent plus tôt sur le territoire, puisque l'Observatoire du Loup, constitué de plusieurs naturalistes, alertait sur la présence du loup en Nièvre, à la limite du Cher, à Sainte-Parize-le-Châtel, le 10 et le 14 avril 2014. Il s'agissait très probablement d'un loup en dispersion.
Le loup présent depuis deux ans en Vienne ?
La situation semble la même en Vienne : des attaques fort suspectes ont été recensées autour d'un élevage de 1200 ovins à la Trimouille, en lisière de la Brenne (Indre), le GAEC du Bon Pasteur. La dernière attaque a eu lieu le dimanche 4 décembre, une brebis a été tuée, une épaule et sa tête consommées. Nous avons contacté le lieutenant de louvéterie de l'Indre, Stéphane Droulin, en poste de 2009 à mi-novembre 2016 : « il n'y a pas de loup dans l'Indre », nous a-t-il répondu. Et les techniciens de l'ONCFS qui se sont déplacés le 4 novembre 2016 ont conclu à un chien errant. Pourtant, d'après les bergers concernés, qui se sont exprimés dans la presse locale, l'aspect des carcasses et la nature des attaques exclut le chien errant.
D'après Ghislain Laporte-Many, un des bergers concernés, « il y a pas mal de renards et de blaireaux dans le coin, mais les dégâts et ce qui a été consommé sur les brebis, ce n'est pas comme d'habitude. Et pas comme un chien errant, même si on n'a pas de trace formelle ». Pour son frère Antoine : « Ca fait 14 ans que je suis dans le mouton, les attaques qu'on a eu sont différentes des chiens errants, renards, etc. qu'on a l'habitude d'avoir. Cependant, je ne suis pas persuadé que l'Etat ait intérêt à reconnaître qu'il s'agisse d'un loup », ne serait-ce que parce que les prédations liées au loup sont remboursées aux bergers.
Ghislain Laporte-Many a bien installé 3 caméras infra-rouges à déclenchement automatique, mais sans résultat pour le moment Cependant, « depuis on a eu d'autres remontées d'éleveurs de la région, qui ont vu des veaux attaqués au près, notamment à Lathus et Mauprévoir. Dans les deux cas les veaux ont été attaqués à proximité de la mère, et les éleveurs ont constaté que l'attaque et ce qui a été consommé ne ressemble ni aux renards ni aux chiens errants qu'on a l'habitude de voir ». L'Observatoire du Loup fait état d'une attaque sur un veau en Haute-Vienne, à quelques dizaines de kilomètres de là, à la même période. Par ailleurs, des attaques qui pourraient avoir été faites par un loup ont eu par le passé en Vienne, à Jazeneuil en novembre 2014 - le loup était alors passé par Liglet où il avait attaquée une brebis ; le vétérinaire qui avait alors fait le constat avait conclu à « un grand canidé, sans exclure le loup ». En attendant que le loup revienne, Ghislain Laporte-Many a déployé un chien patou supplémentaire - les deux de ses cinq troupeaux qui en étaient pourvus n'ont pas été attaqués.
Selon la Confédération Paysanne l'ONCFS nie la présence du loup dans trois départements
Le déni de l'ONCFS ne date pas d'aujourd'hui : dans le Razès, en Aude, les premières attaques liées au loup sont survenues en 2012 ; l'ONCFS n'a reconnu sa présence qu'en 2014. Idem dans le massif du Caroux-Espinousse plus au nord, dans l'Hérault : les premières attaques ont eu lieu en 2014, l'ONCFS n'a reconnu la présence du loup qu'en février 2016. Idem en Haute-Marne, alors que deux loups avaient été identifiés par leur ADN - et qu'ils étaient jusqu'à trois dans le département en septembre 2013, l'ONCFS avait nié la présence du loup, avant de la reconnaître postérieurement et révéler la réalité en décembre 2016.
Beaucoup plus au nord, le loup a été vu autour de Saint-Cyr sur Morin (77) en janvier-mars 2014, dans la forêt de Compiègne en août 2014, la forêt de Chantilly fin 2014, dans la forêt de Retz (sud de l'Aisne) en avril 2016, vers Auffargis (forêt de Rambouillet) en mai 2016, entre Rambouillet et Limours à l'automne 2016. L'ONCFS n'a jamais voulu ni commenter les indices mis en ligne par l'Observatoire du Loup, ni les commenter. Il n'en reste pas moins que le doute demeure : le loup est-il aux portes de Paris ?
La Confédération Paysanne a en tout cas amené les bergers dans Paris : une cinquantaine de paysans et 100 brebis venus de toute la France ont occupé le jardin des Tuileries. Moins de 24 heures après, confirmant le fait que toutes les révolutions et les décisions importantes, depuis 1789, se prennent à Paris, ces bergers obtenaient des avancées importantes, à savoir : le paiement des mesures de protection et les indemnisations de dommages en attente, le renforcement de la brigade spécialisée d'intervention de l'ONCFS, l'autorisation de tirs de défense supplémentaire - qui permettent aux bergers touchés par les attaques du loup de défendre leur troupeau en cas de nouvelle attaque - et le début de la renégociation par la France du statut du loup - elle est en effet liée par des directives européennes et pas libre de réguler l'espèce sur son territoire.
Nous avons joint Thomas Vernay, drômois et chargé du dossier loup au sein du syndicat paysan : « On a demandé au Ministère de l'Agriculture de faire de l'information anticipative dans les départements, au sujet du loup, mais ce n'est pas gagné ». D'autant plus que « sur tout le front de colonisation par le loup, il y a un retard conséquent entre les premières prédations et le moment où le loup est officiellement reconnu par l'ONCFS, ce qui ouvre le droit aux indemnisations et aux achats de moyens de protection pour les bergers ; en Aveyron, par exemple, cela a pris deux ans ».
Thomas Vernay donne ainsi l'exemple du Cantal, « où il y a des attaques au sud, en limite de l'Aveyron, et l'ONCFS ne le reconnaît pas encore », ce qui est d'autant plus curieux que l'ONCFS a déjà officiellement repéré le loup, en 2015 (Paulhac, Saint-Etienne Cantalès, Neuvéglise, Laveissière, le Falgoux, Dienne, Allanche) et 2016 (Chaudes-Aigues) après que des premières attaques soient survenues en 2014 à Espinasse ; l'éleveur avait alors été indemnisé, le loup étant « non exclu ».
Autre département qui pose problème, pour la Confédération Paysanne, l'Ariège : « les attaques ont lieu en limite des Pyrenées-Orientales, les constatations y sont donc portées, même si les attaques ont eu lieu sur le territoire de l'Ariège ; ainsi, la Préfecture évite de reconnaître le loup en Ariège, donc de lancer un comité départemental, former les bergers etc. Et à chaque département que le loup gagne, c'est pareil ». Pour Thomas Vernay, « c'est aussi ce qui se passe en Vienne, clairement ». En Ariège, l'Observatoire du Loup signalait pour sa part les loups en 2014 (Madière, Sabarat) et 2015 (Mirepoix, Cazal des Baylès).
Au sein de l'ONCFS, un mouvement de grève bloque les données du réseau loup
Les données de l'ONCFS sur le loup sont constituées par un « réseau loup », constitué d'agents, mais aussi d'observateurs divers. Ces données sont centralisées et servent notamment à l'élaboration de deux bulletins par an (qui sortent en mars et en septembre) et à l'évaluation du nombre de loups en France. Or, la remontée de ces données est fortement ralentie suite à un mouvement de grève interne. En septembre déjà, le bulletin n'est pas sorti, et n'a été publié que courant octobre.
Un mouvement de grève interne a été lancé par le syndicat SNE ; il consiste, depuis le 1er semestre 2016, à bloquer la remontée des données du réseau loup. Interrompu après des contacts avec le Ministère de l'Environnement de juillet à septembre, il a repris depuis. « Pourquoi bloquer les données du réseau loup ? Car nous ne sommes que quelques milliers d'agents », nous explique Patrick Saint-Léger, secrétaire adjoint de la section syndicale SNE. « Nous avons moins de moyens pour faire entendre nos revendications que les professeurs ou les policiers ». Parmi ces revendications, le passage des inspecteurs en catégorie A alors qu'ils sont en B ou C ou encore la régularisation des nombreux contractuels.
« Les données du réseau loup sont stratégiques, donc les bloquer attire l'attention sur notre mouvement », nous précise Jean-Marc Marsollier, autre secrétaire adjoint de la section syndicale SNE. « Nous espérons ainsi que plus il y a de monde qui s'inquiétera au sujet de ses données - préfets, agriculteurs, associations etc. et plus le ministère sera sensible à nos revendications qui sont pour l'heure superbement ignorées ». Le blocage des données entraîne aussi celui des constats, « qui sont faits mais pas remontés », ce qui retarde d'autant les indemnisations, notamment en Ardèche, dans les Hautes et les Basses-Alpes, ainsi qu'en Lozère, ces quatre départements étant les plus concernés par le mouvement de grève. L'engagement pris auprès de la Confédération Paysanne par le ministère de l'Environnement de verser les indemnisations pour les dossiers en attente va obliger le ministère à reprendre langue avec ses agents en grève.