La Cour suprême remet en cause la décision sur la responsabilité de Sergei Pugachev

La Cour Suprême a rejeté le pourvoi formé par l'Agence pour l'Assurance des Dépôts (ASV) à l'encontre de la décision de la 9e chambre de la Cour d'appel portant sur la prolongation de la procédure collective de la Banque Industrielle Internationale (« Mejprombank »), confirmant ainsi le caractère irrégulier de l'action en responsabilité subsidiaire portée à l'encontre de l'ex-sénateur Sergei Pugachev pour la somme de 75 milliards de roubles.

La décision du 15 juillet 2016 du juge du Tribunal de commerce Ivan Kléandrov sur la prolongation de la procédure collective de la Mejprombank avait été annulée par la 9e chambre de la Cour d'appel en raison de l'incompétence de la formation du tribunal (à partir du 9 juillet 2012, Kléandrov a statué systématiquement à juge unique, alors qu'il était prévu par la loi que toutes ces décisions devaient être prises en formation collégiale).

La décision de la Cour d'appel signifie que toutes les décisions prisent antérieurement par le juge Kléandrov statuant à juge unique dans le cadre de la procédure collective de la Mejprombank sont entachées d'irrégularité. Toutefois, les délais d'appel ont déjà expiré, expliquaient, en septembre 2016, Ilia Ratchkov de King & Spalding, et Grigory Tchernishov du cabinet d'avocats G.P. Tchernishov. Un recours contre ces décisions n'est possible qu'après un arrêt du Présidium ou de l'Assemblée plénière de la Cour suprême, ce qui place la barre très haut. L'ASV a essayé d'obtenir la cassation de la décision d'appel auprès de la Cour suprême, mais le 19 décembre 2016, la cour suprême, dans sa décision №305-ЭС14-3834(16), a rejeté son pourvoi.

Le 14 décembre 2016, conformément à la décision de la 9e chambre de la Cour d'appel, le Tribunal de commerce de Moscou a tenu la première audience depuis 2012 en formation collégiale, et prolongé la procédure collective de la Mejprombank, mais seulement jusqu'au 7 décembre 2016. De ce fait, l'ASV n'a pas retrouvé le contrôle de la procédure collective en qualité d'administrateur judiciaire, qu'elle avait perdu dès le 15 juillet 2016. Néanmoins, cette décision a fait l'objet d'un appel d'un des créanciers de la Mejprombank, la SA « Virage » et tant que la Cour d'appel n'a pas dit son mot, la procédure collective de la Mejprombank ne peut être prolongée.

Fait significatif, l'appel du créancier, déposé devant la 9e chambre à la mi-janvier, a été attribué à la juge Elena Solopova. Au sein de la 9e chambre, le système de distribution des affaires entre les différents juges est automatique, et l'information sur la nomination de la juge a été publiée dans le fichier des affaires commerciales.

Cependant, le 24 janvier 2017, une autre information a été publiée dans ce fichier, selon laquelle, ce serait Oleg Mishakov, vice-président de la 9e chambre de la Cour d'appel, qui serait en charge de cette affaire. Dans le cadre de ses prérogatives, il peut, contrairement aux autres juges, utiliser ses « ressources administratives » et s'attribuer une affaire. Il n'est cependant pas exclu qu'il ne s'agisse pas d'une initiative personnelle de Mishakov, mais du président de la 9e chambre, le juge Igor Gladkov.

« L'automatisation de la procédure de distribution des affaires est le meilleur moyen d'éviter les accointances lors de la formation de la juridiction. Grâce à ce système, les magistrats reçoivent de façon aléatoire les affaires qu'ils vont devoir traiter, et à partir de là, personne ne peut leur dire quoi que ce soit à propos de la procédure. C'est le meilleur moyen de garantir l'impartialité et le non-ingérence des autorités dans le choix des juges pour l'examen de telle ou telle affaire» note Igor Kazakov, analyste chez «ProVED».

« L'automatisation de la distribution permet un minima d'impartialité lors du choix du juge» estime Sergey Zuïkov, le directeur général de la société juridique «Zuïkov et Partenaires».

« Si le président du tribunal, ou le président de la formation, distribue les affaires, l'indépendance du tribunal peut en souffrir » confirme le managing partner du cabinet d'avocats « Bartolius », Yulii Taï.

Le fait que l'affaire soit transmise au juge Oleg Mishakov peut être le signe que celle-ci doit être confiée au « bon » juge, ce qui peut être le signe de corruption ou d'ingérence dans cette affaire. N'importe quel magistrat peut examiner une affaire en tenant compte de sa spécialisation dans la conformité à la loi. En revanche, une réattribution d'un dossier d'un magistrat à un autre sans un fondement légitime, est la manifestation d'un intérêt personnel, direct ou indirect, dans l'issue de l'affaire, ou alors l'existence de circonstances pouvant faire douter de son impartialité. Si cela relève de la réalité, on le comprendra le 3 février 2017, lors de l'examen de l'appel des créanciers de la Mejprombank.

En tout état de cause, la Cour Suprême de la Fédération de Russie, par sa dernière décision dans « l'affaire de la Mejprombank », a déjà confirmé l'illégalité des décisions prises pendant des années par le juge Ivan Kléandrov du fait de l'illicéité de la formation du tribunal (et pourtant il y a eu environ 100 décisions rendues sur le fond). La plus significative a été la décision portant sur la responsabilité subsidiaire sur les dettes de la Mejprombank pour un montant d'environ 75 milliards de roubles de l'ex-sénateur Sergei Pugachev et d'un certain nombre de dirigeants de la banque. La procédure collective et la prorogation de la période d'observation emportent la possibilité de poursuites en responsabilité subsidiaire. Il est ainsi impossible d'examiner une action en responsabilité subsidiaire en dehors du cadre d'une procédure collective licite, or depuis 2012, cette dernière est illicite, puisqu'elle a été prorogée par une formation irrégulière du tribunal. Un des créanciers de la Mejprombank a déjà saisi le Comité d'enquêtes de la Fédération de Russie d'une plainte contre le juge Kléandrov sur le fondement de l'article 305 du Code pénal de la Fédération de Russie (« Le fait de rendre une décision notoirement contraire au droit ») qui prévoit en répression une peine de quatre ans d'emprisonnement, ainsi que le Conseil supérieur de la magistrature d'une demande d'exclusion de Kléandrov de la magistrature.

Les conseils juridiques de Pugachev ont déjà annoncé qu'ils se préparaient à faire annuler les décisions irrégulières que ce soit en Russie, ou dans d'autres juridictions, notamment en Grande-Bretagne, où ont été prononcées des mesures conservatoires au soutien de l'action de l'ASV en responsabilité subsidiaire à l'encontre de l'ex-sénateur. L'ASV s'était engagée devant la Haute Cour de Londres à provisionner 100 millions de dollars en compensation des dommages causés par ces mesures à Sergei Pugachev.

Le représentant de Pugachev a déjà annoncé que « du fait de la reconnaissance par la Cour suprême de la Fédération de Russie de l'irrégularité de la procédure collective de la Mejprombank  à partir du 9 juillet 2012, l'ASV n'a aucun fondement légal pour mener la procédure collective de la Mejprombank, y compris la poursuite de procédures judiciaires, de recouvrement de fonds en exécution de décisions, aussi bien en Russie qu'à l'étranger. Toutes les actions de l'ASV afin de localiser et geler les actifs de M. Pugachev, en reconnaissance de la décision en responsabilité subsidiaire et exécution de celle-ci à l'étranger, sont contraires à la loi ».

Pour leur part, les créanciers indépendants de la Mejprombank exigent de l'ASV qu'elle leur règle le montant de leurs créances avec ce qu'il reste de la masse de la procédure collective de la Mejprombank, et leur compense les préjudices qu'ils ont subi du fait des actions illicites de l'ASV (en six ans de procédure collective, l'ASV a dépensé pour la poursuite de la procédure illicite environ 2 milliards de roubles). Les créanciers n'ont perçu que 2.6% des sommes réclamées, et ces versements ont pris fin en août 2014.

Le 14 décembre 2016, le Tribunal de commerce de Moscou avait ordonné à l'ASV de présenter les comptes pour les dépenses de la masse de la procédure collective pour ces six années, alors que les avocats des créanciers ont annoncé leur intention d'adresser aux autorités compétentes une plainte à l'encontre de l'ASV pour détournement des fonds de la masse de la procédure collective de la Mejprombank.

Le 26 décembre 2016, le Tribunal de commerce de la ville de Moscou a rendu un jugement, dans lequel elle oblige l'ASV à prendre des mesures pour clôturer la procédure collective de la Mejprombank.

Sergey Kiselev, NVdaily