Pour un grand nombre d'habitants de Washington liés de façon ou d'autre à la Russie, l'intensité de discussions selon lesquelles le Kremlin « s'est ingéré » à la présidentielle américaine de 2016 prend des proportions alarmantes. Il n'y avait pas de telles déclarations sévères depuis l'époque de la Guerre froide, affirme The Washington Post.
Cependant, certains habitants de la capitale américaine affirment pâtir de cette rhétorique antirusse. Selon eux, le fait qu'ils sont « soupçonnés par plaisanterie par d'autres Américains d'espionnage » les énerve de plus en plus.
Selon Igor Iefimov, 53 ans, directeur du département d'ingénierie biomédicale de l'Université George Washington, émigré aux États-Unis de Russie en 1992, « penser tous les jours que 140 millions de Russes sont tous devenus des méchants est inacceptable ». Bien que M. Iefimov ait voté pour Hillary Clinton, il se prononce contre les tentatives de « priver le nouveau président de légitimité » à l'aide d'un scandale autour de « ses rapports avec Moscou » qui a éclaté avant que les preuves de ces rapports soient fournies.
Il est également déçu par le fait qu'on généralise tous les Russes. « Je ne sais pas ce qui est derrière ces accusations et si la Russie est impliquée. Bien que cela ne soit pas exclu, j'insiste sur le fait qu'il faut fournir des preuves ».
Bien sûr que le public américain prête attention aux activités des diplomates, banquiers et hackers russes, continue le journal. Mais parmi les Russes et les Américains d'origine russe, dont la communauté n'est pas très grande, il y a des professeurs, des conducteurs, des coiffeurs et des hockeyeurs, auxquels « on pose les mêmes questions sur l'espionnage ».
Viktor Potapov, 68 ans, recteur de la cathédrale Saint-Jean Baptiste à Washington, estime qu'être Américain d'origine russe est la même chose que l'être à l'époque de la Guerre froide. Venu aux États-Unis en 1950, il a grandi dans la ville de Cleveland. Ses parents, activistes anticommunistes, lui conseillaient toujours de « rappeler à ses amis américains qu'il y avait une grande différence entre les Russes et le régime soviétique ».
C'est pourquoi le prêtre a salué la chute de l'URSS et l'établissement de nouvelles relations entre les États-Unis et la Russie « renée ». Mais maintenant il est préoccupé par la tension qui existe entre les deux pays. Selon lui, le problème « d'ingérence russe à la présidentielle américaine a été exagéré ». « Je me réjouis toujours si un expert revient à la raison et dit qu'il faut réfléchir sur ce qui se passe et ne pas chercher des agents de la FSB (Service fédéral russe de sécurité ‑ ndlr.) partout », a déclaré M. Potapov dans une interview accordée à Washington Post.
« Parmi les Américains russes il y a ceux qui ont peur de perdre leur emploi en raison de leur origine. C'est très triste que de telles situations se produisent dans notre pays démocratique », a-t-il déclaré.
Auparavant, Glenn Greenwald, cofondateur du magazine en ligne The Intercept a indiqué que la russophobie dans les médias américains devenait de plus en plus profitable alors que les auteurs des articles antirusses se rendaient compte des conséquences.
Cependant, un grand nombre d'experts américains exhorte la société à renoncer à la rhétorique antirusse. Steven Cohen, célèbre politologue américain dénonce « l'époque de post-maccarthisme » (Maccarthisme - période de l'histoire américaine pendant laquelle des éventuels agents, militants ou sympathisants communistes ont été poursuivis aux États-Unis) dans laquelle les États-Unis sont entrés. Selon M. Cohen, cette époque consiste à poursuivre tous les politiciens liés de façon ou d'autre à la Russie.
Le politologue souligne que les déclarations de Nikki Haley, ambassadrice américaine auprès de l'Onu, selon lesquelles « les États-Unis ne doivent jamais faire confiance à la Russie » réduisent à rien des dizaines d'années de travail consacré aux accords russo-américains sur les armements.