Moscou et Washington veulent construire une base sur la Lune

Selon Sergheï Krikalev, directeur du programme des vols habités de la corporation publique « Roscosmos » il y aura deux stations spatiales qui vont bientôt apparaître à côté de la Lune. André Ionine, membre correspondant de l'Académie russe de cosmonautes portant le nom de Tsiolkovski, nous a raconté tous les tenants et les aboutissants.

 

- Quels seront les objectifs de ces stations ? Que va-t-il s'y passer ?

 

André Ionine. A vrai dire ce n'est pas les chercheurs travaillant dans le domaine spatial en Russie, Etats-Unis ou autres pays qui définissent les objectifs. L'initiative appartient au bailleur des fonds et le le client a toujours raison. S'il y va du financement public, alors la clé de voûte est : pourquoi l'État (que ce soit Etats-Unis, Russie ou autre) doit-il dépenser des dizaines, voire des centaines de milliards de dollars ? Quels problèmes veut-on résoudre ? Je n'ai pas de réponse. Je sais que de tels projets existent depuis les temps immémoriaux et au moins depuis l'époque de notre grand constructeur des fusées Sergheï Korolev. Mais à l'époque de Korolev, on savait qu'il y avait une course dans l'espace entre l'Union Soviétique et les Etats-Unis. L'argent investi dans l'espace servait le prestige du pays, contribuait à son développement économique, servait à former l'opinion publique pour que tout le monde sache que le socialisme est plus efficace que le capitalisme.A cette époque-là je saisissais la chose, mais aujourd'hui non.

 

- Croyez-vous à la faisabilité technique du projet ?

 

André Ionine. Technologiquement parlant c'est possible. Sur une période de 5 à 10 ans, nous pourrions mettre sur pied les premiers lancements. Mais tout est fonction d'un financement régulier et d'une bonne organisation. N'en demeure pas moins qu'il reste la question centrale à élucider et là je n'arrive à obtenir aucune réponse de la part de « Roscosmos » ou d'un autre organisme. J'aime l'espace et les cosmonautes, mais il me tient à coeur d'obtenir la réponse pourquoi va-t-on claquer tous ces fonds. C'est-à-dire que si quelqu'un veut marcher sur la Lune, je n'y serai pas réticent, mais qu'il s'autofinance. Par contre, comme il s'agit des fonds publics, c'est une autre paire de manches.

 

Je ne veux pas contrer le projet. Si un touriste spatial me verse 200 millions de dollars, il aura son vol vite fait. Mais quand les gens entendent investir des milliards dans une base lunaire, je commence à me poser des questions. Je leur dis : « C'est intéressant pour vous, mais qu'en pensent franchement les autres ? »

 

- Croyez-vous que nos rapports avec les Etats-Unis se prêtent à un tel projet ?

 

André Ionine. Le président des Etats-Unis est en train de désigner le nouveau chef de son Agence Spatiale. Le départ du précédent fait partie des traditions de la NASA à partir des années 60 du siècle dernier. C'est pourquoi nous verrons notre nouveau homologue en poste en janvier prochain. Je suis convaincu que Trump va repenser la stratégie spatiale américaine peu définie depuis 8 ans, c'est-à-dire sous Obama.

 

Il n'y avait qu'un seul aspect qui était clair: c'est celui de l'espace privé. Ce n'est que dans ce domaine que les Etats-Unis procédaient avec une logique bien nette, précise, définie, systémique et correcte. Ils prêtaient main forte au développement de tels projets. Pour le reste, surtout pour le développement des programmes publics, la stagnation était complète, à mon sens.

 

En tant que le leader spatial, les Etats-Unis étaient invisibles pendant ces 8 années consécutives. J'espère que Donald Trump qui, comme tout le monde croit, est plutôt axé sur la problématique intérieure va changer quelque chose. C'est que l'espace fait partie du complexe patriotique américain.

 

Mais je demande, une fois de plus, à voir qui serait nommé à la tête de l'Agence Spatiale Américaine ; quels problèmes aura-t-il à résoudre ; quels moyens mettra-t-on à sa disposition ? Parce que, sans accroître considérablement le budget spatial américain, les objectifs fixés seraient hors de notre portée. A titre d'exemple, pour réaliser un projet spatial - lunaire ou martien - le budget de la NASA doit être revu à la hausse de l'ordre de 50 % voire plus peut-être. C'est un problème insolvable parce que sur la période des 20 dernières années leur budget n'a été revu qu'à la baisse.

 

- Nous savons qu'il existe un projet de vol piloté sur la Lune. A quel stade de développement est-il ?

 

André Ionine. Du point de vue technologique, nous avons surmonté toutes les difficultés. Ce n'est pas trop compliqué pour nous. Il est clair que si on eut lancé une fusée sur la Lune dans les années 60, il nous serait autrement plus facile de le faire aujourd'hui. Il n'existe aucune barrière technologique qui puisse entraver la réalisation du projet. Les questions demeurent les mêmes pour autant : le coût et la motivation. Ces projets existent ; il y en avait beaucoup à l'époque soviétique. Il n'y a pas de barrière et aucun obstacle ici pour monter un projet et même réaliser l'assemblage technologique. Donnez-nous juste un objectif précis et le financement.