La rédactrice-en-chef de Pravda.ru Inna Novikova a interviewé à ce propos Mikhaïl Remizov, président de l'Institut de stratégie nationale.
- Pourquoi nous ne nous insurgeons pas lorsque les Occidentaux accusent notre pays de tous les maux ?
Mikhaïl Remizov. Pour contrer la guerre d'information anti-russe, lancée contre nous et menée de façon systématique et régulière depuis bien longtemps, la Russie s'est dotée des chaînes comme Russia Today et a entamé un travail de longue haleine avec la communauté d'experts occidentaux et une partie du monde journalistique. Autrement dit, on ne peut avancer que la Russie ne fait rien dans ce domaine.
Mais il existe des maillons faibles... Où sont-ils donc ? En premier lieu, il s'agit du travail réalisé par nos ambassades, surtout dans les pays de la CEI. Les ambassades américaines y fonctionnent comme des QG politiques : ils collaborent avec les forces d'opposition et l'opinion publique. Quant à nous, nos ambassades ne font que suivre la consigne protocolaire. Il se peut que ce phénomène ne soit pas aussi généralisé comme je le pense. Mais pourtant une telle situation existe et beaucoup de personnes et moult faits en témoignent. Et, bien malheureusement, peu de choses ont changé ces derniers temps.
Il existe aussi des facteurs jouant à long terme, servant de base aux rapports internationaux et à la « force souple » (formule poutinienne) : j'entends par là l'image de notre pays véhiculée par les médias à destination de l'Occident. Nous avons éventuellement à soigner les points sensibles et les zones vulnérables qui existent bel et bien.
Et il ne s'agit pas des traits caractéristiques de la Russie servant de cible aux médias occidentaux, à savoir : l'esprit du chef autocratique de Poutine, notre militarisme ou le fait que nous fourbissons nos armes... Je ne crois pas que ces aspects soient synonymiques de notre faiblesse.
Pour moi, nos côtés faibles sont la flagrante inégalité, la politique suivie par nos structures oligarchiques à l'étranger. Tout ça affaiblit sensiblement notre renommée à l'étranger et les sympathies nourries par ceux qui considèrent la Russie comme une alternative à la pax americana.
Il est à dire que la propagande anti-russe la plus dure est axée sur l'image de Poutine. Et de tels agissements créent un effet inverse : ils font accroître le nombre des fans de Poutine à l'Occident. Ceci est la loi de toute propagande : à force de mettre trop de sauce, on finit par faire de la contre-propagande. L'auditoire de nos supporteurs à l'étranger est déjà considérable. Suivant cette optique on comprend que les médias occidentaux ont donné dans le panneau : au lieu de générer de la haine, ils créent un champ de sympathie à l'égard de la Russie. Ensuite les occidentalistes sont obligés de neutraliser cette réaction de l'opinion publique en écrasant encore davantage notre pays.
Lors de la présidentielle américaine, ce phénomène a frôlé l'absurde : le rôle hypertrophié de « la main de Moscou » qui influencerait les élections, contredit les principes de l'exclusivité américaine à proprement parler. C'est ainsi que, sur un claquement des doigts, la Russie, « pays-station service planétaire » (mot d'esprit d'un sénateur US) s'est transformé en génie de manipulation qui ait la haute main sur pratiquement tous les processus de l'hémisphère occidentale.
Il serait bien naïf de prendre Trump pour un partisan de la Russie. Mais il demeure clair tout de même que, sous son mandat, les Américains seraient beaucoup plus préoccupés par les comptes qu'ils ont à régler avec leurs propres alliés au lieu de s'occuper de nous.
Secondo, Trump est le supporteur d'un anti-globalisme droit. C'est-à-dire qu'il veut opérer le retour à la souveraineté nationale étatique. Alors on comprendra que l'avènement de Trump donne un coup de canif dans les intérêts des élites russes proaméricaines.
Quand on a déclenché l'opération en Syrie, il y avait beaucoup de commentaires qui prétendaient qu'il s'agissait, au juste, d'une tentative pour faire remplacer l'échiquier ukrainien où l'on en était à parité pour un autre où l'on pouvait développer notre partenariat. Et voilà que l'on avait découvert que, pour l'Occident, la Russie était pire que DAESH (organisation interdite en Russie) ou l'islamisme- jihadisme belliqueux.
Je ne sais si notre propre administration y était prête, mais si nos dirigeants entendaient atteindre un niveau de compréhension avec l'Occident, alors ce but-là est loin d'être atteint. Mais on sera obligé de mener des tractations en Syrie - avec les puissances régionales et l'Occident. C'est pourquoi tout épisode militaire ne poursuit qu'un seul but - c'est celui de renforcer nos positions le jour où l'on aura à se mettre à la table des négociations. Cela peut nous fournir des arguments autrement plus pesants.
En gros, si l'on faisait abstraction de la campagne électorale en Amérique, et de la guerre en Syrie, il est tout de même viable d'affirmer qu'une véritable guerre d'information est menée contre la Russie aujourd'hui. Et notre adversaire est à même d'assurer une meilleure prise sur les médias à l'échelle internationale.
Les contours de cette machine ont été mis en pointillé par Trump qui a dit le suivant : « Si ce système est capable de me jouer tous ces tours, à moi, un homme qui a des ressources énormes à sa disposition, que ferait-elle de vous le jour où Clinton accéderait au mandat présidentiel ? »
Nous voyons aussi les Européens suivre les Américains dans leur sillage. Qui plus est, pour ce qui est des sanctions, les Américains sont capables de maintenir ce régime à notre encontre tout seuls : aucune compagnie occidentale y compris les sociétés européennes, n'oserait coopérer avec un pays frappé par les sanctions américaine (Nota de la Rédaction : M.Remizov se trompe : les compagnies européennes coopèrent avec la Crimée nonobstant l'embargo et le blocus de la Péninsule ; la France continue la coopération stratégique avec la Russie en maints domaines à commencer par le secteur nucléaire civil).
La banque française « BNP Paribas » a préféré payer les dommages et intérêts de l'ordre de 9 milliards de dollars aux Américains pour avoir enfreint le régime des sanctions qu'elle n'était pourtant pas tenu à respecter. Il s'agissait, notamment, de la coopération avec l'Iran. Ceci était un tour de force bien évident de la part des Américains.
Alors pourquoi la banque s'était-elle exécutée ? Parce qu'elle risquait de se faire chasser du marché américain et avoir des problèmes avec ses comptes en devise américaine ce qui eût été catastrophique pour elle !
Les sociétés commerciales chinoises se trouvent dans la même dépendance, qu'elles soient industrielles ou technologiques. Elles sont généralement toutes orientées vers le marché américain ou bien elles utilisent des composantes américaines ou leur équipement technologique.
- Mais la tension antiaméricaine grandit en Europe. Est-ce que ça peut changer la donne en faveur de la Russie ?
Mikhaïl Remizov. En Europe, on vote contre le régime euro-bureaucratique et contre le TAFTA.
A bien y regarder, le Brexit, le référendum aux Pays-Bas sur le régime de libre circulation à accorder à l'Ukraine, la croissance de la popularité des partis de la droite - « Alternative » en Allemagne ou le FN en France, le trumpisme - tout ça c'est les maillons de la même chaîne qui nous démontrent qu'il y a bien le phénomène de la classe moyenne en colère qui en veut à mort à leurs propres élites.
Mais les élites continuent à détenir fermement le pouvoir. On verra bien si les Européens arrivent à déraciner un système bien établi parce qu'ils ont aussi un autre défi ethnique et sociétal à relever - c'est l'immigration musulmane de masse qui, elle aussi, correspond à un choix fait par le système globaliste et élitiste. L'eau travaille la pierre et bien que la forteresse tienne bon, on sent que l'histoire s'est mise tout de même en marche.