Gilles Arnaud est le directeur des éditions « Héligoland » et, dans le passé, créateur de ProRussia.tv en coproduction avec La Voix de la Russie. Il raconte comment la France perd petit-à-petit son industrie et ses droits commerciaux au profit des Américains et érige un mur de Chine pour se protéger contre l'influence russe. L'ennui est que ça se fait au su et au vu de tout le monde, mais personne ne crie gare un peu comme si le pays avait perdu son instinct de conservation.
- Gilles Arnaud, dites-nous, SVP, qu'est-ce que c'est que le TAFTA. On sait qu'il s'agit d'un Traite de libre échange Trans-Atlantique qui devrait changer le climat commercial en France... Quel est votre commentaire ?
Gilles Arnaud. Pour commencer, on a eu le CETA négocié entre le Canada et la France ou, plus exactement, l'Europe. Mais le CETA ne concerne que le Canada uniquement. Mais ça a servi de base au TAFTA. Et maintenant il y a les choses suivantes qui sont négociées : on y trouve toute la politique ultra-libéraliste américaine. Notamment, les fameuses clauses assez fantastiques qui permettent aux sociétés d'attaquer les pays-signataires de l'Accord si ces pays ont une politique commerciale ou autre qui ne convient pas aux compagnies énergétiques américaines qui peuvent porter plainte à l'encontre de ces pays devant les tribunaux paritaires qui, à leur tour, ne sont pas constituées de tribunaux nationaux mais par des cabinets d'avocats qui ont pour clients ces grandes compagnies. Autrement dit, il n'y a aucun contrôle administratif ou législatif sur ces fameux tribunaux. En plus, leurs décisions sont souveraines. En gros, ils ont demandé aux avocats de ces grandes compagnies de juger les litiges qu'ils pourraient avoir avec ces compagnies européennes. Les deux - le CETA et le TAFTA - ont été négociés par l'Union Européenne. Et le Parlement Européen n'a pas eu son mot à dire. Et aucun parlementaire européen n'a pas eu de traité en sa version intégrale - que des extraits. Il est ahurissant que le Traité soit négocié au nom de la France sans qu'un représentant français ait pu lire ce traité ! Il s'agit de la destruction de tout notre tissu industriel et commercial.
- Est-ce déjà en vigueur ?
Gilles Arnaud. Le CETA doit être confirmé par le Parlement Européen, mais c'est une formalité. La Wallonie a un peu bloquée parce qu'en fait, le traité doit être encore ratifié par les parlements nationaux. Mais justement il faut dire que ce Traité n'a été ni négocié, ni ratifié. Comme ça le CETA n'est voté qu'au Canada. Et, en toute logique, le TAFTA est voté aux Etats-Unis. D'ores et déjà on empêche nos compagnies d'avoir des filiales au Canada et ils imposent déjà leur volonté à l'Europe. C'est déjà quasiment fait.
- Si on comprend bien c'est l'économie de la France qui en a pris un coup. En fait, cela s'apparente à un conflit entre un pot de terre et un pot de fer.
Gilles Arnaud. Et en plus, on y sacrifie tout ce qu'on a fait du bien : les AOC, etc., les petites productions et le savoir-faire européen. Tout ça va être balayé! Comme vous voyez, on négocie le CETA et le TAFTA ce qui se révèle être une catastrophe pour nous, mais, en même temps, on nous impose les sanctions anti-russes - une catastrophe pour notre économie ! On ruine notre agriculture et déjà le pays est pauvre ! Déjà plusieurs milliards d'euros d'échanges avec la Russie se sont envolés ce qui équivaudrait à 200.000 - 300.000 emplois perdus. Et en plus de cette affaire louche avec la Russie, on se tire une balle dans le pied droit avec ces accords commerciaux qui nous livrent, pieds et poings liés, aux Etats-Unis et au Canada. C'est une folie pure !
- Mais est-ce que les branches dites sensibles seraient protégées comme, symboliquement parlant, les projets spatiaux, l'aéronautique, l'agro-alimentaire, les chantiers navals, le nucléaire ?
Gilles Arnaud. Mais non ! Il n'y a pas de zones protégées ! Nous sommes en perte totale du marché !
- On croit rêver ! Autrement dit, toute l'économie nationale peut être détraquée juste pour faire plaisir aux Américains ! Et puis Washington élimine un concurrent commercial qu'est l'Europe et, notamment, la France !
Gilles Arnaud. Absolument ! Mais on nous raconte que ça va nous apporter l'ouverture de nouveaux marchés. Mais on perdrait la mise à cause du déferlement des produits américains et canadiens qui sont de plus mauvaise qualité et moins chers ! Mais c'est les produits américains qui seront demandés. Peut-être le champagne serait épargné parce que c'est en copropriété avec eux... Mais le foie gras serait interdit... C'est vraiment porte ouverte au marché américain!Comment s'en étonner quand on voit que ceux qui négocient ces traités sont tous des commissaires européens ? Et une fois leur mandat fini, on n'en retrouve plus la trace. La Commission de Bruxelles est, en fait, le cheval de Troie des Américains ! Il n'y a pas d'autre mots ! C'est parfaitement visible. Ainsi la Commission n'est pas faite pour le bonheur du peuple européen, mais pour son malheur. Certes, ce qui est amusant est qu'on nous ressort exactement les mêmes arguments qui ont servi au moment de la création de l'Union Européenne. 30 ans plus tard, on sait très bien où on en est - on a notre économie en berne. Et nous avons notre agriculture qui est sous perfusion. On confie notre sécurité à l'OTAN. Et on sait très bien ce qui se passe à l'Est et aux pays Baltes et en Ukraine. Et en plus, on cherche noise à la Russie.
- Un point d'interrogation qui demeure : les produits transgéniques de Monsanto. Que ferait-on de leur cultures agricoles qui jusqu'aujourd'hui ont été interdites en France ? Le problème est que tout l'agroalimentaire américain est forcément transgénique ! Il ne reste plus de graines pures de l'autre côté de l'Atlantique !
Gilles Arnaud. Mais c'est un cas typique parce qu'officiellement le Parlement Européen interdit le Monsanto et les produits transgéniques. Mais demain après que le CETA serait entré en vigueur, qu'est-ce qui empêcherait le Monsanto de saisir justement ces fameux tribunaux paritaires et d'attaquer l'UE en disant que vos lois nous privent de bénéfices substantiels? Donc nous vous demandons les dommages et intérêts ! Quand bien même nous voudrions nous défendre, on devra tout de même des millions voire des milliards des dommages et intérêts ! En fait , on essaie de bloquer tout ce qui pourrait contrer l'ultra-libéralisme. Quelle que soit la vente ou le produit vendu, l'État ne veut plus se protéger.
- C'est tellement laxiste que l'on a l'impression que l'élite française ne joue plus le jeu du peuple. Un peu comme s'il y avait une rupture entre le haut et le bas...
Gilles Arnaud. Ce n'est pas étonnant parce qu'en France nous avons un président qui a juste sa cote de popularité établie à 4 %. On est en complète rupture avec le pays réel et le pays légal. Et on le voit très bien via les manifestations des policiers où les syndicats ont été mis complètement dehors de ces manifs ! Et la réaction des gens devient de plus en plus violente.
- On dit aussi à propos de François Hollande qu'à chaque fois qu'il passe dans les casernes, on enlève toutes les munitions aux militaires...
Gilles Arnaud. Oui, vous avez raison, mais si on pousse la logique plus loin : comme la France ne produira plus ni ses armes, ni ses munitions, alors il n'y a aura plus de munitions dans les casernes de toute façon !
- La liberté d'expression , qu'en fait-on ?
Gilles Arnaud. La dictature molle est bien là parce que l'Union Européenne a décidé, de façon unanime, de lutter contre la propagande et d'interdire bientôt la diffusion des médias russes en France et en Europe par tous les moyens techniques : c'est-à-dire ni transmission directe, ni satellite, ni câble, ni internet ! Ca va se faire au nom de la lutte contre la propagande. Quand on sait qu'en France, quel que soit le média que vous prenez - papier, radio ou télé - vous tomberez forcément sur l'un des 8 groupes qui contrôlent tous les médias. Et ces gens-là vont très bientôt interdire les médias russes ! En Angleterre, notamment, une de vos chaînes - RT - vient de voir ses fonds bloqués par l'État britannique. Et donc ils ne peuvent plus travailler. Et bientôt ce sera le cas partout en Europe.
- Et le CSA l'accepterait ?
Gilles Arnaud. Mais bien sûr ! Parce que jamais un média russe n'a eu accès ni à une chaîne conventionnelle, ni à un satellite. Vous autres, en Russie vous avez le droit de consulter le TV5 ou d'autres chaînes françaises. Mais il serait impossible de voir accéder Pravda.ru, Sputnik ou RT sur des chaînes satellitaires !
- Mais même aujourd'hui, pour pouvoir vous enregistrer ça a été la croix et la bannière ! Il y a eu un brouillage systématique. Même avec la Syrie la transmission de l'image est meilleure.
Gilles Arnaud. C'est vrai parce qu'il y a 6 mois, la France vient de se doter d'une loi d'exception qui est une loi de type administratif qui, sans aucune décision parlementaire ou judiciaire, permet de fermer un site internet si c'est considéré comme contraire à la sécurité nationale ! Et notamment, tenez-vous bien, les sites internet « qui critiquent la position diplomatique de la France »!!! Autrement dit, si en France vous avez un site qui dit que la position de la France sur l'Ukraine est mauvaise, vous pouvez avoir le site fermé sur simple décision administrative. C'est un fonctionnaire qui en déciderait dans son bureau sans que l'on puisse prendre position ni se défendre !!! Vous avez aussi le « fichage » ! En France, il y a 20.000 fiches « S » pour marquer les gens supposés d'être dans les réseaux islamistes. Mais en fait, dans le fichier, il n'y a que 10.000 fiches sur les terroristes islamistes ! Et les autres 10.000 fiches sont censées être celles des opposants politiques !
- Aïe ! Je suis sûr qu'on s'est fait lister tous les deux : moi, en tant que journaliste francophone d'une chaîne étrangère et vous en tant que contestataire au régime !
Gilles Arnaud. Il n'y a aucun doute parce qu'en plus, vous parlez français et vous venez en France ! Et la loi d'Exception est passée sans coup férir à l'Assemblée Nationale. Un seul député, à ma mémoire, s'est élevé contre ça ! Tous les autres ont voté pour.
- On apprend des choses bien tristes ! On considérait la France comme le pays des Lumières, les droits de l'Homme, un havre de paix. Mais voilà que la roue a tourné : c'est la Russie qui est redevenue libre...
Gilles Arnaud. On espère que Poutine n'abandonne pas l'Europe. Il faut bien que nous puissions profiter de vos médias. Parce que si vous partez, on n'aura plus de sources alternatives d'information.