Inspecteur des armées en 2008-2009, le général d'armée Jean-Marie Faugère se prononce sur le fossé de plus en grand entre les moyens dévolus aux militaires et l'étendue des missions ou «activités» qu'on leur demande.
Question. Que pensez-vous de la corrélation entre les objectifs fixés par Le Livre blanc et le stade actuel de l' existence de l' Armée française?
Général Faugère. Le nouveau Livre Blanc de 2013 a défini les nouveaux contrats opérationnels de l'Armée Française. Je pense que ce que vous appelez « les objectifs » reflète les contrats opérationnels. Il est certain que ces derniers qui définissent le volume de forces à projeter, des capacités militaires à détenir sont en réduction très sensible par rapport à ceux qui ont été fixés dans le précédent Livre Blanc de 2008. C'est même la moitié de contrats qui à l'époque étaient déjà en très nette réduction par rapport à ceux qui avaient été déterminés à l'issue de la professionnalisation des armées françaises entre 1996 et 2002.
Alors effectivement ces contrats peuvent paraître aux militaires que nous sommes très sous-estimés au regard des menaces et des risques qui existent de nos jours sur la planète. Ce que décrit très bien d'ailleurs le Livre Blanc de 2013 dans son analyse des risques et des menaces. Donc c'est entre l'analyse des menaces et la définition des contrats opérationnels qu'il existe effectivement un ïatus, une absence de corrélation.
Question. Il y a 3 ans, les Sentinelles de l' Agora ont adressé leur Mémorandum au Président de la République... Quelque chose a-t-il changé depuis?
Général Faugère. J'ai lu dans la presse effectivement la publication de ce Mémorandum. Vous demandez quelles sont les conséquences ? Je pense qu'il n'y en a aucune ! Pour des ra isons simples, d'ailleurs : il n'est pas dans l'ordre des choses qu'un gouvernement réponde aux déclarations d'un groupe au moins concernant les affaires militaires. Maintenant je pense que l'alerte lancée par ces Sentinelles a quand même eu dans le subconscient collectif un certain impact qui a montré effectivement que les armées vivent difficilement les réformes qui sont aujourd'hui leur lot au quotidien ce qui est lié aux réductions budgétaires. Cela n'est pas niable !
Question. Les armées françaises sont-elles dûment financées pour remplir leurs objectifs stratégiques?
Général Faugère. Comme je disais dans la première question, les armées françaises répondent aux contrats opérationnels que leur donne finalement le Président de la République et le gouvernement. Les objectifs stratégiques sont censés être liés à ces contrats opérationnels, mais j'ai noté tout à l'heure le ïatus qui existe quand même entre l'analyse des menaces que l'on connaît de manière objective, sur un plan strictement militaire et l'état des armées d'aujourd'hui : notamment le faible volume de nos contrats opérationnels. Vous faites allusion au financement de ces armées... La situation aujourd'hui est très tendue, on ne peut pas le nier ! Tout le monde le sait - le Président de la République aussi bien que le Ministre de la Défense. D'ailleurs le Ministre de la Défense conduit un combat quotidien aujourd'hui pour que les crédits votés dans la dernière loi de programmation 2014-2019, soient effectivement au rendez-vous.
Maintenant dans les objectifs fixés aujourd'hui par le gouvernement y compris restreindre les dépenses publiques, cet objectif avait déjà pesé sur le contenu de la loi élaborée. C'était d'ailleurs déjà aussi le cas de la loi de programmation précédente votée à l'issue du Livre Blanc 2008.
Donc l'Armée Française se sent sous une très forte contrainte financière depuis la chute du Mur de Berlin et ce à cause des réformes en permanence depuis cette époque. Et il est effectivement très difficile de les réaliser sous les contraintes budgétaires.
Le constat est sévère, c'est vrai : le renouvellement du matériel, les conditions de l'entraînement des forces et les conditions du fonctionnement au quotidien des armées ne sont pas vraiment satisfaisantes pour le soldat d'aujourd'hui. Cela contraint fortement la vie, mais également la préparation opérationnelle, voire même la conduite des opérations. Le tout maintenant est d'apprécier à temps le point de non-retour de cet affaiblissement militaire qui, malheureusement, atteint toutes les armées européennes. Alors que par ailleurs le monde réarme et que la situation internationale se dégrade tous les jours. On le constate dès que l'on ouvre son poste radio ou que l'on regarde la télévision.
Question. En tant que militaire, pourriez-vous donner votre approche de la stratégie à suivre par l' OTAN dans la crise ukrainienne?
Général Faugère. En tant que militaire, aujourd'hui retiré de l'effectif et sans responsabilités, je n'ai pas vraiment de conseils à donner à la Direction politique de l'OTAN pour définir sa stratégie dans la crise ukrainienne. Mais je peux dire que les objectifs militaires de l'OTAN, tels que je les connais, sont la défense militaire de ses membres lorsqu'ils sont agressés par un Etat tiers. Ce qui ne semble pas être le cas dans la crise que vous évoquez. Personnellement, je pense que l'OTAN a intérêt à respecter ce pour quoi elle a été créée. D'autant que l'état des armées de ses membres hormis, bien évidemment, les Etats-Unis qui sont un cas très particulier dans le cadre de l'Alliance Atlantique, ne permet pas à l'OTAN de sortir d'un tel cadre de gestion des responsabilités, à mon sens !
Donc s'il y a une réaction de l'OTAN, cela ne peut être qu'une réaction initiée par les Etats-Unis et conduite par elle d'ailleurs.