Pas de nationalisation, même temporaire. L'Etat - enfin le président Hollande, auquel il reste à peine un mois de pouvoir - a décidé de laisser faire « la main invisible du marché », à savoir Fincantieri, seul candidat au rachat des Chantiers tenus jusqu'alors par STX, un groupe sud-coréen au bord de la faillite. Et derrière, l'ombre de la Chine, avec laquelle Fincantieri a fait des transferts de technologie pour obtenir des navires.
Certes, Fincantieri ne sera pas majoritaire - il aura entre 45 et 49% du capital pendant huit ans. Vient ensuite une fondation privée bancaire italienne (Fondazione CR Trieste) - à priori sans liens avec l'armateur, qui en aura 10%. L'Etat conserve ses 33.34% et le groupe DCNS (construction militaire, notamment, de navires) qui travaille de plus en plus avec Saint-Nazaire, notamment dans l'épineux dossier des Mistrals d'abord russes puis égyptiens 10%. Il faut remarquer au passage que l'Etat détient 62.49% de DCNS.
Fincantieri met la main sur un savoir-faire reconnu dans le monde entier, des cales pour navires parmi les plus grandes d'Europe et une diversification en cours dans les énergies renouvelables. Fincantieri pèse quant à lui 19.000 emplois dans le monde, est détenu en partie par l'Etat italien, et a un CA en 2016 de 4.4 milliards d'€.
La nationalisation temporaire était possible et évoquée par l'Etat - selon le pacte d'actionnaires, l'Etat peut racheter les 66% restants du capital des Chantiers, avant de les revendre. Les armateurs MSC et RCCL étaient prêts à les reprendre, ce qui posait d'autres problèmes, notamment sur la marge de manœuvre des Chantiers face aux deux armateurs qui auraient aussi été ses actionnaires. Puis là encore ce sont des acteurs étrangers - RCCL est américano-norvégien, et MSC un armateur italien dont le siège est à Genève.
Cette nationalisation aurait aussi créé un précédent qui aurait pu refroidir d'éventuels investisseurs, alors que l'économie française est déjà sur-administrée, sclérosée et passablement étatisée... sans que cela ne freine un tant soit peu la désindustrialisation et le chômage de masse.
Plusieurs forces politiques, notamment les socialistes locaux, une partie de la droite, le FN ou encore l'extrême-gauche (PCF, LO, Front de Gauche) avaient demandé une nationalisation temporaire ou définitive des Chantiers, qui sont un actif stratégique français.
Le Front National qui dispose d'élus locaux à Saint-Nazaire s'est fendu d'un communiqué cinglant où il dénonce la « démission » de l'Etat sur le dossier. Le tour de table complexe masque selon le parti la prise de contrôle des Chantiers par « l'État italien, récompensé ainsi d'avoir accepté le rachat de groupe Mediaset de monsieur Berlusconi par monsieur Bolloré. La France sera donc en situation d'observateur, sans réel pouvoir d'opposition à des décisions de délocalisations en Chine, Fincantieri ayant des accords avec les chantiers chinois CSSC. Elle ne pourra pas freiner non plus le développement du travail détaché sur les Chantiers de Saint-Nazaire, auxquels Fincantieri a massivement recours ».
Le FN « exige du Gouvernement qu'il inscrive noir sur blanc dans un pacte d'actionnaires que Fincantieri ne délocalisera pas en Chine le savoir-faire industriel qui a fait la fierté des ingénieurs et ouvriers des Chantiers, et qu'il n'augmentera pas la part de travailleurs détachés au-delà de 25 %, chiffre déjà considérable ».
Cependant si à Saint-Nazaire on souhaite une conclusion rapide du dossier - les incertitudes sur l'avenir pèsent sur les capacités à gagner de nouveaux marchés et financements pour les Chantiers - Fincantieri ne cesse d'inquiéter. Et pas seulement à cause du recours aux travailleurs détachés, déjà assez important sur les Chantiers nazairiens, puisque évalué à près d'un quart des effectifs totaux, alors même que la gauche demande à faire des embauches dans le bassin d'emploi de Saint-Nazaire pour faire face à la charge importante de travail, les ouvriers locaux vieillissant. Fincantieri emploie quant à lui jusqu'à 60% de travailleurs détachés, pour limiter les coûts.
Il y a encore l'ombre de la mafia, et plus inquiétante encore celle de la Chine. En juillet 2016, Fincantieri a signé un accord avec China State Shipbuilding Corporation (CSSC) avec le croisiériste américain Carnival pour construire deux navires de croisière, avec une option pour quatre de plus. Ils seront construits en Chine : une première, alors que jusque là la construction des navires de croisière, hyper-technique, était une spécialité européenne. Certes, les éléments les plus sensibles seront toujours fabriqués par Fincantieri en Europe, mais la voie d'eau est de taille.
« Une fois que CSSC aura assimilé le savoir-faire italien, malgré les garde-fous officiellement annoncés, il aura entre les mains une formidable machine pour concurrencer son propre partenaire, mais également STX France et l'allemand Meyer Werft », s'inquiète l'Usine Nouvelle (7/2016). Face à cela, Fincantieri et STX dégainent la même arme : le recours à l'innovation permanente, en s'appuyant sur le savoir-faire d'un tissu de PME locales compétitives. Cela ne suffit pas à rassurer à Saint-Nazaire.