Sorti début mars en salles (notamment au cinéma Armor à Rennes, rue d'Antrain, tous les jours jusqu'au 7 mars à 17h), le documentaire Sous peine d'innocence réalisé par Pierre Barnerias raconte une histoire de dingue. En 1981, dans un bar à hôtesses du Bronx, un coup de feu claque et tue un dealer. Après une enquête bâclée, la police arrête Severino Diaz, cubain qui a émigré en 1960 aux USA, réussi le rêve américain, mais qui menait depuis plusieurs années une vie dissolue. Mal défendu par un commis d'office bien qu'il criait son innocence, il a été condamné à quinze ans de prison pour meurtre. Entre-temps, le coupable du crime avait été arrêté en train de commettre un kidnapping, avec la même arme qui a servi au meurtre. Mais il a passé un accord avec la justice : être expulsé vers son pays une fois sa peine pour kidnapping purgée. Il n'a jamais été jugé pour le meurtre.
Une fois sa peine purgée, il demande à être libéré. Mais la commission de libération, constatant qu'il refuse toujours de reconnaître sa culpabilité, le condamne à nouveau à deux ans de prison. Puis deux ans à la nouvelle échéance, et ainsi de suite. Il clame toujours son innocence. « Un mot : coupable, il est libre. Non coupable, il reprend deux ans ». Dans son documentaire très touchant, Pierre Barnerias raconte l'obstination d'un homme, soutenu par un autre : l'aumônier de sa prison, un prêtre ouvrier français, originaire de l'Aveyron, le père Pierre Raphaël. Mais aussi l'acharnement d'un système américain en panne, où il « vaut mieux être riche et coupable que pauvre et innocent ».
Un peu longuet, le film est en apparence maillé par les grilles. Les grilles qui s'abattent devant Time Square, celles sur lesquelles la caméra s'attarde - gâche, pêne, verrou - celles qui sont dessinées, et qui se transfigurent. Ces grilles de lecture deviennent un pont. Un pont entre la France et l'Amérique, car avec une pincée de francophonie, de gastronomie aussi - l'ami cuisinier du prêtre - et d'Aveyron, la terre d'origine de prêtre Pierre Raphaël, né à Millau.
Dès qu'il a été libéré de son contrôle judiciaire - sept longues années après sa libération, Severino Diaz est allé en France, à Lodève, retrouver son ami prêtre. Et c'est en l'ancienne cathédrale de Lodève que sont tournés les seuls plans du documentaire qui le sont dans une église. Les seuls où transparaît réellement la vraie trame du film. « Y penser toujours, n'en parler jamais », comme l'Alsace-Lorraine de 1870 à 1914. Même si elle n'est pas formellement revendiquée, elle irrigue le documentaire et la vie de Severino Diaz : la Foi. La Foi qui sauve, celle qui libère, qui rend au monde, qui ressuscite, qui soulève, qui brise les barrières et les barreaux .
Certes, on pourra remarquer que l'injustice, si criante soit-elle, de cas individuels ne saurait remettre l'utilité sociale majeure des institutions judiciaire et carcérale, surtout dans un monde où tout repère se perd. Si discréditée et critiquée soit-elle, il ne reste guère que l'institution judiciaire pour tenter de rappeler le bien commun et de tenir la norme sociale, deux notions qui sont passées de mode, enfoncées par les vagues de bons sentiments dont ce film n'est pas exempt.
Avec l'élection de Trump en toile de fond - et le retour des préjugés séculaires entretenus dans les médias européens sur les Etats-Unis et leurs habitants, ces fameux rednecks qu'on pourrait croire, à lire la presse mainstream, armés comme des croiseurs de guerre, tirant sur tout ce qui bouge (surtout si ce n'est pas blanc), pourvus d'un accent à couper au couteau, votant facho, buvant des litres de whisky frelaté et s'adonnant à la pendaison de noirs sous le clair de lune en Alabama, ce film tombe à pic pour être récupéré.
Dans ce cas là, ne doutons pas, les bons sentiments et l'émotion ne seront pas oubliés, mais la dimension centrale de la Foi, trop encombrante pour les contempteurs de Trump, passera à l'as. Ne serait-ce que parce que la Foi qui libère rappelle aux libéraux-libertaires de tous horizons qu'elle peut aussi briser la prison qu'ils ont dressé autour du peuple français.