Nos voisins belges sont sincèrement inquiets pour nous. Et ils ne sont pas les seuls. Cela transparaît dans leurs médias, ou divers éditorialistes s'inquiètent d'une France qui apparaît en panne, voire incapable d'idées nouvelles. Quel que soit le parti, il n'y a pas de projet, seulement des illusions. Libéralisme libertaire pour Macron, socialisme décroissant pour Hamon, gauche libertaire pour Mélenchon, libéralisme bourgeois et paternaliste pour Fillon, nationalisme et populisme pour Le Pen, Nicolas Dupont-Aignan et Asselineau, localisme un brin poujadiste pour Lassalle etc.
« Aucun candidat ne parle d'avenir, ni d'industrie d'ailleurs », résume un des derniers industriels français - une petite PME qui exporte 85% de sa production hors-UE, et est royalement ignorée par les pouvoirs publics et les politiciens, sauf pour ce qui est des impôts, qui sont « écrasants. Nous pourrions faire ce que nous faisons n'importe où ailleurs en Europe ou en Amérique du nord - pas en Chine ou en Asie du sud-est, car il faut beaucoup de soins et de savoir-faire, mais ça fait quand même des tas de pays en dehors de la France. Seulement, notre histoire, notre patrimoine et notre terroir sont ici », continue ce chef d'entreprise qui souhaite rester discret.
Nos responsables ne pensent plus à la France avant tout
« Aucun candidat n'a l'avenir en tête, et tous renvoient vers un passé fantasmé. Il n'y semble d'avoir d'autre avenir que l'UE, qui est clairement en panne. Alors qu'en France, il y a d'autres gens comme moi - nos voisins paysans, nos partenaires et nos fournisseurs - qui ont le courage du quotidien et pensent à l'avenir. Au fait qu'un grand pays ne peut se passer d'industrie et qu'il y a des tas de choses du quotidien qu'on ne sait plus faire en France ».
Par exemple des balles - la France produit des rafales, mais plus des munitions de petit calibre. Le Drian, qui pense à l'industrie - et à rejoindre Macron - a relancé chez lui, en Bretagne, la production de munitions de petit calibre. Elles seront assemblées à Pont de Buis (Finistère), sur le site d'une poudrerie royale qui existe depuis le XVIIe siècle, les amorces seront produites par Nobelsport à Anneyron (Drôme), les machines-outils à Mulhouse par ManuRhin, Thalès s'occupant de la conception à la Ferté-saijnt-Aubin (Loiret). Au moins quatre usines et des centaines d'emplois sont concernés, consolidés voire seront créés dans le cadre de cette filière industrielle. « C'est le genre d'initiatives qu'il nous manque en France. Parce que nos responsables politiques, ou ceux qui veulent le devenir, ne pensent plus à la France avant tout», résume ce petit patron.
2007, 2012, 2017 : dix ans de dégagisme n'ont fait qu'agraver l'Etat de la France
Mais penser à la France d'abord, est-ce le fait de la majorité des Français ? On peut en douter, quand on revient sur les élections passées, et celle à venir.
En effet, les Français ne semblent plus s'accorder sur un projet, mais contre celui-ci ou quelqu'un. Les élections de mi-mandat en sont la regrettable illustration, alors qu'elles devraient pourtant porter sur des enjeux locaux, et non se transformer systématiquement en référendum pour ou contre le président en cours.
Le bon sens surnage dans quelques terroirs, souvent critiqués pourtant. Ainsi en Bretagne, ou la gauche locale a sauvé ses positions dans les départements les plus urbanisés (Loire-Atlantique, Ille-et-Vilaine, Finistère). Pas seulement à cause du poids des villes, de l'apport de populations nouvelles (venus d'Ile-de-France ou d'autres régions, immigrés extra-européens), de la gentrification, ou du redécoupage électoral. Mais aussi parce que la droite locale n'est pas franchement à la hauteur et fait trop l'étalage de ses divisions sans avoir de vrai bilan à présenter en face, ni avoir du mordant face aux majorités de gauche.
A Saint-Nazaire, alors qu'il y a maintenant trois groupes de droite et du centre au conseil municipal - la bataille des égos fait rage - c'est le FN et lui seul qui s'oppose à la politique de la mairie de gauche et occupe l'espace médiatique. Ailleurs, à Nantes par exemple, à Rennes dans une moindre mesure, l'opposition est inaudible et inexistante. Elle « n'imprime » pas. Donc l'électeur l'ignore.
Mais même les élections nationales se transforment en triomphe du dégagisme. Sortez les sortants. En 2007, c'est un non au chiraquisme sclérosé, au socialisme craquelant, qui propulse Sarkozy à la magistrature suprême. Fiasco total. En 2012, cette fois, c'est un non à Sarkozy discrédité qui expédie un flan comme président. Le dessert n'est pas apprécié par les Français, qui ne le classeront pas au patrimoine de la gastronomie mondiale, pour sûr.
En 2016, les écolos votent contre Duflot - et le pâlot Jadot est finalement forcé de se retirer de la course, faute de soutiens et de poids politique. Les électeurs de droite votent contre Ali Juppé et Sarkozy (encore), et c'est Fillon qui s'impose par défaut. Contre l'appareil du parti, qui lui fera chèrement payer lorsque les affaires éclateront. Certes, le timing des juges et de la presse est si bien choisi et si concordant que des questions légitimes se posent. Mais nombre de ces affaires, « ristournes » au Sénat, vols en jet privé en Sarthe aux frais du contribuable, costards offerts au candidat, fraudes diverses de ses proches (Henri de Raincourt mis en cause dans l'affaire des ristournes du Sénat, Dominique Tian, pourfendeur de l'assistanat et de la fraude aux prestations sociales réalisée par les pauvres renvoyé en correctionnelle pour blanchiment de fraude fiscale, etc.) n'ont rien de nouveau, et étaient connus dans le microcosme politique - et à fortiori au sein de l'UMP - depuis des mois voire des années.
Rebelote à l'hiver 2017, où les socialistes et sympathisants de gauche votent contre Valls, et contre Montebourg - trop flamboyant, et recasé après un ministère au bilan finalement modeste dans une boîte réputée proche du PS - et c'est donc le falot Hamon qui est le candidat du PS, sachant qu'il s'oppose à la politique du gouvernement PS en place depuis cinq ans. Un comble !
En dix ans, le nonisme appliqué n'a fait que dégrader l'état du pays. Sans projet, sans direction claire, la France décline. Chaque jour, une à deux usines fermées, des dizaines d'emplois sont rayés de la carte chaque semaine - plus d'un million d'emplois industriels ont disparu en quinze ans - dans l'indifférence la plus totale. Chaque jour, l'absence du souci du bien commun, de valeurs communes, de foi dans l'avenir coule la France. La dette a plus que doublé en dix ans, les jeunes partent, après avoir été formés aux frais du contribuable, faute d'avenir, la France perd ses cerveaux, sa culture, après avoir rayonné et attiré pendant des siècles hommes de lettres, de science et d'art venus du monde entier.
Triste revers de l'Histoire, qui n'est pourtant pas une fatalité.
Le nonisme, un autre mal insidieux qui est en train de couler le pays
Sitôt un rescapé du dégagisme élu, il commence à tenter d'appliquer son programme. Et là, c'est la levée de boucliers. Parfois, il n'a même pas le temps d'être élu. Fillon a du remballer fissa sa réforme de la Sécurité Sociale sous la pression, à la fois des syndicats, des sondeurs, des médias, de l'opinion et des professionnels - qui tous pourtant ne cessent de réclamer des réformes.
Au niveau local, ce n'est guère mieux. En Bretagne - pour ne regarder que là - deux grosses usines n'arrivent pas à s'agrandir depuis des années. Elles pourraient créer des emplois, consolider ceux qu'elles assurent déjà, mais non, une poignée de riverains - pas toujours habitants à l'année - voire des associations qui ne sont même pas des communes concernées ont décidé de les empêcher de travailler. Il s'agit de la SICA à Saint-Pol de Léon et de la SILL à Plouvien.
Derrière ces deux cas emblématiques, des multitudes d'autres qui le sont moins, et qui sont à peine éclairés dans la presse locale. Les littoraux concentrent les conflits d'usage. Le maire de l'Ile-aux-Moines, qui affiche sa commune dans la presse nationale comme un paradis où le FN n'existe pas, oublie de répéter ce qu'il a confié à la presse locale - sa commune est l'enfer des recours en tous genres intentés par des habitants (souvent résidents secondaires) à la commune pour des prétextes de plus en plus futiles : 183 de 2001 à 2014, confiait le maire dans le Télégramme. Et c'est le cas de multiples communes sur tout le littoral français, ainsi que dans les grandes villes et leurs agglomérations.
Quelques chiffres, quelques exemples, sur une période allant globalement de 2009 à 2016, et sur des recours qui portent contre des permis de construire de particuliers ou de collectivités. Belz, dans le Morbihan : 10 recours, dont 3 intentés par la même association. A Caudan, même département, riverains et conseil général ont bloqué le projet d'une usine de concassage : les emplois ne valent la peine que s'ils sont payés par le contribuable. A Guidel, idem, 10 recours divers, et la mairie bloque depuis 2008 un projet de ball-trap privé ; de guerre lasse, son porteur abandonne en 2014. A Larmor-Plage, 7 recours, notamment contre des logements sociaux... qui doivent servir à loger des habitants nés dans la commune, et qui ne peuvent y habiter à cause de la hausse des prix entretenue par les résidents secondaires. A Noyalo, un habitant de la Rochelle, résident secondaire dans la commune, a attaqué le PLU.
A Moustoir-Ac, les riverains s'opposent à une antenne de téléphonie mobile qui devrait améliorer la réception à cinq kilomètres à la ronde. A Priziac, c'est une porcherie qui ne peut s'étendre à cause d'un recours. A Ménéac, une carrière, à Pontivy, l'incinérateur à déchets, à Port-Louis, la capitainerie du port, à, Plumelec l'école et la caserne des pompiers. A Sarzeau, c'est la mairie qui refuse l'installation d'un pylône à Orange, à Mostoir-Remungol et Malguénac, les élus déclarent eux aussi la guerre aux éoliennes, à Vannes, les plaisanciers veulent interdire le futur skate-parc et les riverains bloquent la mise en valeur du port, à Lanester les habitants d'un hameau veulent bien d'un centre de tri de déchets, mais pas devant chez eux, et ainsi de suite...
En Loire-Atlantique plus au sud, pas mieux : à Piriac, 27 recours de riverains et de résidents secondaires contre le PLU - le chiffre est si important que la mairie l'indique dans son bulletin municipal. A Préfailles, 24 contre deux immeubles. A la Regrippière, Jans et Saint-Hilaire de Chaléons, tout projet éolien qui naît sur la commune engendre au moins un recours. A Méan, un quartier industriel de Saint-Nazaire en pleine gentrification, 50 riverains attaquent une usine car ils supposent qu'elle utilise un produit cancérigène pour peindre des pièces d'avion.
A Sucé-sur-Erdre, un projet de camping, avec six emplois prévus, se ramasse deux recours en quelques mois, le porteur du projet abandonne. A Plessé, c'est un jet-ski qui est instrumentalisé par la politique locale - encore un recours ! A Nantes, une église déborde de monde, le bâtiment de fortune est vétuste et trop petit, il faut l'agrandir. Un riverain qui ne veut pas de bruit devant chez lui a déposé un recours, les fidèles - qui ont obtenu un permis de construire en bonne et due forme - continuent de s'entasser à chaque messe, voire l'écouter dehors, ou dans une petite salle annexe.
On pourrait continuer à l'infini. Les juges ne savent plus où donner de la tête.
Dans certaines communes, tout permis de construire d'immeuble est systématiquement attaqué, les promoteurs forcés de casquer ou d'abandonner - ce qui arrive de plus en plus souvent. On s'étonnera que le BTP patine, et l'emploi avec. Idem pour les usines, idem pour les aménagements d'utilité publique (déviations, ronds-points, centre de traitement de déchets, ateliers de services techniques, zones commerciales ou artisanales, etc.) Idem pour les textes légaux (les PLU sont le plus visés, mais les PPRT des usines à risque ou les PPRI pour prévoir les risques d'inondation y ont droit souvent aussi). Idem pour les grosses fermes, les serres, les usines qui essaient de se développer, même quand elles sont là depuis des siècles. Idem pour les ostréiculteurs et les mytiliculteurs, qui se ramassent des recours et des procédures pour nuisances de voisinage de la part de résidents secondaires alors qu'eux sont chez eux depuis des lustres et qu'ils travaillent.
Pour des recours justifiés face à des projets mégalos ou mal ficelés (voire les deux), des dizaines d'autres ne sont que l'expression de la capacité de nuisance d'agitateurs professionnels, aussi nuisibles au bien commun - notion qu'ils ignorent royalement - que les sycophantes de la Grèce antique.
Hors de Bretagne, les exemples sont aussi légion. Et tout aussi désolants.
Face à la pression, les bonnes volontés se découragent, le droit recule - les porteurs de projets paient les protestataires ou font jouer leurs réseaux - et les élus locaux, la plupart du temps, suivent complaisamment ceux qui sont contre par pur intérêt électoral.
Dans un nombre croissant de terroirs français, à cause de l'égoïsme de certains - qui ont les moyens d'encombrer les tribunaux et qui bénéficient de l'oreille attentive d'une presse locale que sinon personne ne lirait plus - être bâtisseur, entrepreneur ou même paysan devient un enfer.
Forcément, la France est de plus en plus en panne. Elle est de plus en plus rouillée, fossilisée, sclérosée. Ses jeunes se découragent, et partent, ou se conforment à la maison de retraite ambiante, où pas une tête ne doit dépasser, et personne n'a sa chance avant la cinquantaine passée, ou s'il est admis dans un sérail restreint et parisianiste, comme c'est le cas de Macron, l'enfant chéri d'Attali et de la gauche libérale-libertaire.
Et si le dégagisme ambiant n'était que l'expression de la colère impuissante du plus grand nombre face à l'impuissance au quotidien ? Face à une forme de lâcheté, même, puisque quasiment jamais les égoïstes qui entravent le travail des autres, en multipliant procédures, pressions et recours abusifs, ne trouvent face à eux des populations, des élus locaux, des entrepreneurs, paysans ou industriels décidés à travailler, à créer, à faire. A défendre leur droit à un avenir.