Philippe Pascot, l'homme qui veut en finir avec les privilèges et la corruption de la classe politique française

Né en 1955, Philippe Pascot est un militant associatif depuis sa prime jeunesse - avec des actions spectaculaires, parfois, comme en juin 1985 lorsqu'il fait douze jours de grève de la faim, juché sur le clocher de sa commune, Bondoufle (91), pour protester contre l'interdiction d'émettre du CSA contre la radio locale Sortie de secours. Il a aussi fait de la politique pendant 25 ans, à Evry et en Ile-de-France.

 

A partir de 2014, il a commencé à écrire sur les politiciens. Dans une série de livres, il décrit sans concession comment ils se sont taillés sur mesure des lois pour profiter du système. Parallèlement, il a engagé un combat pour que les hommes politiques aient un casier vierge ; la pétition titille les 150 .000 signatures. Début février 2017, l'Assemblée Nationale a voté à l'unanimité en première lecture le casier vierge pour les hommes politiques, après la proposition d'un député PS qui est aussi le seul artisan de l'Assemblée. Une victoire majeure pour celui qui a fait de la disparition des petits et gros privilèges des politiques l'oeuvre d'une vie.

 

 

La Pravda : Philippe, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

 

P.P : Je suis né en 1955 à Paris. J'ai été militant associatif dès 14 ans. Je me suis présenté avec une liste indépendante à Bondoufle, avec comme slogan, « le feu rouge, ce n'est ni à gauche ni à droite, on veut le mettre au bon endroit », et j'ai fait 12%. Alors que j'étais directeur de la Halle du Rock à Evry, Valls est venu me chercher et je suis devenu adjoint à la mairie d'Evry de 2001 à 2010, puis conseiller régional d'Ile-de-France.

 

La Pravda : vous avez donc travaillé avec Valls. Qu'en pensez-vous ?

 

P.P : pendant un an, il a été sympa, puis il a pris la grosse tête. Les élus qui lui faisaient une cour n'y sont pas pour rien ! Pour 95 à 98% des élus, le pouvoir, ça leur tourne la tête. Ils commencent à se prendre pour des demi-dieux. J'étais finalement le seul à l'ouvrir et me suis retrouvé placardisé.

 

La Pravda : Philippe Pascot, vous publiez cette rentrée un nouvel essai, intitulé du Goudron et des Plumes, de quoi s'agit-il ?

 

Philippe Pascot : C'est la suite de Délits d'Elus, où je listais 400 hommes et femmes politiques qui avaient commis des délits et avaient été condamnés pour cela. Dans ce nouveau tome, il y en a 600. J'ai écrit précédemment Pilleurs d'Etat, où j'en citais 200 de plus. Et j'en sortirai un nouveau en janvier prochain, pour clôre le cycle.

 

La Pravda : Qu'est-ce qui vous a poussé à vous intéresser aux délits des élus ?

 

P.P : J'ai toujours considéré qu'un élu devait être exemplaire, qu'il devait servir et non se servir. Or, j'ai constaté qu'en France, les privilèges des élus, c'était un sujet tabou.

 

La Pravda : La loi sur le casier judiciaire vierge des élus est adoptée à l'unanimité à l'Assemblée. C'est étonnant ?

 

P.P : Pas du tout. Cette loi, j'en suis à l'origine, et c'est l'aboutissement d'un long combat. Elle a été préparée il y a quatre ou cinq mois, mais du fait du calendrier parlementaire surchargé, elle n'a été présentée que maintenant, donc elle ne s'appliquera qu'à partir des élections de 2019.

 

La Pravda : Cette loi est présentée par un député de gauche [Fanny Dombre-Coste, député PS de la 3e circonscription de l'Hérault ; lancée en politique par Georges Frêche, cet artisan photographe - le seul artisan de l'Assemblée Nationale - est une spécialiste reconnue au sein du PS des thématiques liées à la filière bois et au droit social en entreprise, NDLA], est-elle soutenue dans l'autre camp ?

 

P.P : Oui, notamment par Charles de Courson [UDI]. Nous l'avons aussi envoyée à plusieurs sénateurs de différents camps pour recueillir leur réaction.

 

La Pravda : Pourquoi, à votre avis, les élus sont tellement pressés d'améliorer le système et brûler leurs privilèges ? Est-ce l'onde de choc de l'affaire Fillon, le Pénélope-gate ?

 

P.P : Parce que la pression devient intenable. Notre pétition pour un casier vierge des politiques a réuni 149.000 signatures, certains députés ont été inondés de mails pour voter la loi, des candidats à la présidentielle ont repris la proposition (Jadot, Dupont-Aignan, Jean Lassalle, Charlotte Marchandise, François Asselineau...) et il y a une attente sociale énorme. Tant que les privilèges des élus étaient peu ou pas connus, ça passait, maintenant qu'ils le sont, les gens ne l'acceptent plus. Et puis il faut un casier vierge pour 386 métiers en France - pompier, policier, ambulancier etc. mais pas pour être élu. C'est une anomalie.

 

La Pravda : Vous dénoncez les distorsions entre le droit applicable aux élus et le droit commun ?

 

P.P : Oui, il y en a plein. Par exemple un élu peut arriver à payer deux fois moins d'impôts qu'un citoyen non élu. L'impôt est en effet calculé sur chacun de ses mandats, séparément, alors qu'un citoyen est imposé sur l'ensemble de ses revenus. L'élu bénéficie en outre d'un abattement de 750 euros. Le gouvernement a annoncé l'arrêt de ce privilège en 2017, mais il faut le faire voter par des parlementaires... qui sont souvent des élus qui cumulent les mandats. Pas gagné. Un autre exemple : pour une femme d'élu, la pension de réversion c'est 66% de la pension de son mari, sans plafond. Pour une femme d'un retraité du régime général, c'est 54% d'un plafond de 19.000 euros.

 

La Pravda : Ce sont des distorsions importantes...

 

P.P : Il y a pire. Par exemple, la protection fonctionnelle : les frais d'avocat peuvent représenter des sommes énormes pour les citoyens, par exemple 2,4 millions d'€ pour Manuel Aeschlimann (UMP) quand il était maire d'Asnières, et cet argent n'est jamais remboursé quand ils sont condamnés. Mais les citoyens que les élus attaquent n'ont pas ces avantages. Cela donne lieu à des abus énormes : je prends l'exemple de Jean-Philippe Assel, maire adjoint de Rambouillet, qui a mal géré l'assainissement, avec 13 millions d'euros qui ont été détournés. Il a eu 20.000 € d'amende avec sursis. Les citoyens de sa commune ont été triplement eus. D'abord, parce que la commune a payé sa protection fonctionnelle, et donc ses avocats. Ensuite, elle ne s'est pas portée partie civile et n'a pas été remboursée. Enfin, ce sont les contribuables qui ont vu leur taxe pour les ordures ménagères flamber pour résorber le trou.

 

La Pravda : Faut-il se méfier de tous les élus ?

 

P.P : Il y a une masse de petits élus qui sont honnêtes et quasi-bénévoles au vu des responsabilités qu'ils ont. Et la justice n'hésite pas à les allumer. Récemment, un maire d'une petite commune a eu 8 mois avec sursis pour une malversation de 850€. Mais plus on monte, et plus ils en croquent. Je suis effaré par exemple par un Jean Tiberi, qui n'a que du sursis après quinze ans de procédures, ou un Alain Carignon, condamné pour corruption et abus de biens sociaux, qui veut revenir en politique car il veut à nouveau en croquer !

 

La Pravda : vous dénoncez aussi les détournements massifs de l'IRFM, l'indemnité représentative de frais de mandat ?

 

P.P : C'est une aberration. Quand un chef d'entreprise va au resto avec un client, il paye puis il présente la facture à son comptable. Pour un élu, c'est l'inverse, et il n'y a aucun contrôle. Résultat, j'ai prouvé qu'il y a 160 élus qui ont payé leur appartement ou leur villa avec leur IRFM. Et c'est un minimum. Cette indemnité, qui s'élève à 5770€ pour les députés, 6200€ pour les sénateurs, c'est de l'argent de poche que nous leur refilons, avec nos impôts.

 

La Pravda : que pensez-vous du non-cumul des mandats, qui est souvent présenté comme une façon de renouveler la classe politique, et de réconcilier les Français avec les hommes politiques ?

 

P.P : C'est une arnaque. Les élus vont rendre un de leurs mandats, celui qui les arrange le moins, à un de leurs proches. Ces derniers, nouvellement élus sur des mandats peu rémunérateurs, vont augmenter leurs indemnités, afin de pouvoir en vivre. Et ceux qui ont lâché leurs mandats, aussi. Comme Xavier Betrand, qui a claironné avoir lâché ses mandats de maire et de député. Mais pas de s'être augmenté de 4000 € bruts comme président de la communauté d'agglomération de Saint-Quentin. Résultat : on aura encore plus d'élus, encore plus de pros de la politique, et encore plus d'argent du contribuable dépensé en indemnités.

 

La Pravda : Pensez-vous que les plafonds des indemnités des élus sont suffisants ?

 

P.P : Pas du tout ! Il y a un tas de choses qui ne rentrent pas dedans : jetons de présence dans les conseils d'administration des bailleurs sociaux ou des hôpitaux, vice-présidences communautaires, voiture de fonction - avec un chauffeur, ça revient à 1000 € par mois d'avantage en nature - ou encore les téléphones. Rachida Dati en réclamait plusieurs par mandat, elle en avait sept en tout, dont deux que l'UMP lui a fournis et dont elle s'est faite payer les factures - 10.000 € en 2013, sans compter 9000 € de billets de train et 4000€ en billets d'avion. Tout ça n'est pas pris en compte dans les plafonds légaux, qui ne servent à rien.

 

 

La Pravda : Vous qui aviez été élu en Ile-de-France, trouvez-vous qu'il y a beaucoup de corruption ? Plus qu'ailleurs ?

 

P.P : Oui. Partout où il y a de l'argent, il y a plus de corruption. Notamment en Ile-de-France, sur la Côte Provençale, à Marseille, sur les littoraux en général. Et surtout dans les DOM-TOM, où la situation est très grave.

 

La Pravda : Il y-a-t-il plus d'élus corrompus à gauche qu'à droite ?

 

P.P : C'est pareil. Dès qu'un élu rentre dans le système, il a la tentation d'en croquer, et il y en a pas mal qui y cèdent. Car la soupe est bonne.

 

La Pravda : L'abstention ne cesse de progresser en France, d'élection en élection, profitant notamment aux élus pourris qui sont souvent réélus haut la main par une faible partie du corps électoral, les autres s'étant démoralisés. Que proposez-vous ?

 

P.P : Rendre le vote obligatoire.

 

La Pravda : Pourquoi ?

 

P.P : On peut aujourd'hui être réélu avec 60% de voix, mais seulement 10% des électeurs, car l'abstention est énorme. C'est ainsi que des truands sont régulièrement réélus, car ils se créent des réseaux d'obligés fidèles - un HLM ou un emploi public attribué par ci, des chocolats distribués par là - et qui sont là le jour du vote, alors que la plupart des citoyens, dégoûtés, s'abstiennent. Si on rend le vote obligatoire, et qu'on oblige les élus à avoir un casier judiciaire vierge, les truands sautent.

 

La Pravda : Pensez-vous que vos livres ont participé à rendre plus nette la politique ?

 

P.P : Je constate surtout que le système ne veut pas se remettre en cause, et que le système fait tout pour verrouiller l'information.

 

La Pravda : Pourquoi dites-vous ça ?

 

P.P : Je pense au journaliste Yvan Stéfanovitch, attaqué en diffamation par le Sénat après qu'il ait publié un ouvrage pour dénoncer les privilèges des sénateurs... Et le fait, que, de plus en plus, les journaux sont détenus par un nombre restreint de personnes, l'autocensure sévit dans les rédactions - y compris des médias du service public.

 

La Pravda : Cela dit, vous commencez à avoir un certain écho médiatique et politique ?

 

P.P : J'ai vendu près de 100.000 exemplaires de mes trois livres, dont 80.000 pour Pilleurs d'Etat, où j'explique comment les élus se sont arrangés un droit à leur façon. Sans avoir été relayé par de grands médias nationaux, à l'exception de l'émission Bourdin Direct sur RMC. Certains candidats à la présidentielle de 2017 ont incorporé dans leur programme ma proposition de rendre le casier judiciaire vierge obligatoire pour exercer un mandat. Notamment Nicolas Dupont-Aignan, Jean Lassalle, François Asselineau. Les gens se rendent compte que si un comptable pique dans la caisse, il a une interdiction d'exercer. Or, il y a des élus violeurs qui font des mariages et ont des fonctions qui peuvent les amener à côtoyer des enfants. Les gens se rendent compte aussi que voter ne veut plus rien dire, et que la démocratie devient une farce. Qu'on confie notre portefeuille à des élus qui ne se privent pas de taper dedans.

 

La Pravda : C'est un constat plutôt pessimiste, non ?

 

P.P : Comme pour beaucoup de choses, le savoir c'est le pouvoir. Plus il y a de gens qui savent que notre système démocratique est détraqué, et plus il y a de chances de le réparer.