Le gouvernement souhaite vider la « jungle de Calais », cet énorme campement illégal de migrants clandestins qui veulent rejoindre l'Angleterre. Plus de 10.000 s'entassent là, sans compter ceux qui vivent un peu partout dans la région, ou aux abords des ports Transmanche (30 à Roscoff, 100 à Cherbourg, 2 à 300 à Caen, 150 à Dieppe...). Mais ce plan, personne n'en veut : ni les associations qui refusent l'initiative « inutile », selon elles, du gouvernement, ni les communes, partout en France, où le gouvernement souhaite envoyer des migrants par groupes de 50 ou 100.
Après Louveciennes, Combs ou encore Allex il y a eu Gussignies - ce village dans le Nord qui devait en recevoir quarante. Trois cents des 380 habitants ont signé une pétition, puis menacé d'occuper le bâtiment qu'on devait leur attribuer. La préfecture a préféré reculer. Et maintenant, il y a Saint-Brévin-les-Pins, charmante station balnéaire située au sud de la Loire, face au grand port maritime de Saint-Nazaire. La question des migrants a tout de suite pris un tour politique, bien que cette commune soit un fief de la droite modérée. Et les consciences se sont échauffées, de part et d'autre. Jusqu'à ce quelqu'un tire, le soir du 4 octobre, sur le centre des œuvres sociales d'EDF qui doit recevoir lesdits migrants. Neuf impacts en tout, selon le gardien, dont deux en façade.
Bataille politique autour des migrants
Une nouvelle manifestation était organisée par le collectif des Brévinois opposés à l'implantation de migrants, le 15 octobre sur la place du Marché. Elle a réuni 150 personnes environ, alors qu'une dizaine d'opposants - favorables à l'arrivée des migrants, eux - les regardaient sans mot dire. Ce rassemblement faisait suite à une réunion d'information organisée par les « anti » le 8 octobre - 250 personnes y étaient, et une manifestation mi-septembre, qui, elle, avait été tendue, puisqu'il y a eu sur place une contre-manifestation organisée, notamment, par des activistes d'extrême-gauche.
Parmi les opposants aux migrants, beaucoup de retraités et quelques jeunes actifs. On trouve aussi des gens extérieurs à la commune, notamment, Jean-Claude Blanchard, le très actif chef de file du FN de Saint-Nazaire. « Mais il y a 99% de brévinois », tempère un manifestant : « Nous craignons pour notre sécurité, le gouvernement nous manipule en disant qu'il n'y aura que 12.500 migrants cette année, puis 23.000 de plus l'an prochain ». Un autre affirme qu'il est seulement là pour « s'opposer à la solidarité forcée. Nous voulons pouvoir choisir, et donner en priorité un avenir à nos enfants. Puis la façon dont le gouvernement traite les migrants, comme du matériel humain qu'on peut jeter ça et là, ça me choque ».
Jacques Gillet ajoute : « Les commerçants sont vent debout contre cette arrivée de migrants, il y a déjà eu des annulations de réservations chez des hôteliers et des gérants de camping pour la Toussaint et l'année prochaine ». Il assène : « L'Etat a créé une sorte de camp de concentration à Calais ». Et s'interroge : « Pourquoi nous envoie-t-on 70 hommes seuls, et pas des familles ? Comme elles ont des enfants, elles les mettront à l'école, verront des gens et s'intégreront mieux. Je n'ai pas d'opposition ethnico-religieuse, mais il est clair que le gouvernement fait très mal les choses au sujet de Calais, en voulant passer en force contre les migrants et contre les petites communes françaises auxquelles on les impose ».
Cependant, pour d'autres manifestants, ce sont justement les arguments ethniques et religieux qui importent. Jacqueline, 76 ans : « Je n'en veux pas dans ma commune. Moi, les Arabes, il ne faut pas m'en parler ». Un autre manifestant tient une pancarte : « 1/3 des agriculteurs ont moins de 354 € par mois ». Il clame : « Nos agriculteurs ne s'en sortent pas, et eux vont avoir de l'argent sans rien faire ! Qu'ils retournent chez eux, faut arrêter de les assister ! Que ça soit des chrétiens d'Orient ou des migrants arabes, c'est pareil, s'ils défendent leur pays, qu'ils y restent. Nous, en 40, on ne s'est pas barrés du pays! La France ne peut pas être la poubelle de l'Europe ! ». Un autre, assez énervé, assure que « Ces migrants sont en train d'envahir l'Europe ». Quand on demande aux manifestants ce qu'ils vont voter en 2017, la réponse est unanime : « FN ! On a essayé la droite, on a essayé la gauche, c'est tous des faux culs. Cette fois Marine va être au second tour, et ça sera un sérieux avertissement pour le prochain président, qui que ça soit. Il aura intérêt à ne pas se tromper. Les gens sont pressés comme des citrons et en ont marre ».
Alors que le rassemblement bat son plein sous un ciel maussade, plusieurs brévinois, favorables aux migrants, regardent sans mot dire. Jean-Pierre est là, car il est « contre le fascisme et la désinformation. C'est un rassemblement de fachos du FN qui jouent sur les peurs ». Lui-même est « pour le centre de migrants. J'ai moi-même vécu dans la misère, je sais ce que c'est, je ne le veux pas pour les autres. Je suis prêt à donner, et même à accueillir s'il le faut. Etre humaniste, c'est donner un peu de soi ». Trois jeunes critiquent aussi « ce rassemblement de fachos, qui représente à peine 1% des 10.000 habitants de Saint-Brévin. La majorité est pour les migrants, ne serait-ce que pour les principes de solidarité et de l'humain ». Un collectif favorable à leur arrivée - et de sensibilité centre-gauche - a été créé et prévoit d'éditer 6000 tracts pour informer les Brévinois.
Des brévinois pas opposés aux migrants
Cependant, tandis que la bataille politique fait rage, nombreux sont les Brévinois à être plutôt favorables, d'emblée, aux migrants. Une tenancière d'un bar craint « un peu » pour la sécurité, mais pense « que ça ne changera pas grand'chose, d'autant que comme ils veulent tous aller en Angleterre, ils vont repartir dès que possible », comme les migrants déjà installés en Bretagne ou dans le sud de la France lors de la première tentative d'évacuation partielle de la « jungle », l'année dernière. Un client, attablé au comptoir, ajoute : « Moi, ils ne me gênent pas. Cela dit, il aurait été mieux de les répartir à dose homéopathique dans toutes les communes, plutôt que d'en mettre un gros groupe ici ».
Pour ce chauffeur de bus de la STRAN et brévinois, « Les migrants ne poseront aucun problème. Il y en a déjà à Préfailles [trois jeunes Irakiens qui ont fait venir leurs femmes, NDLA], ils prennent régulièrement le bus pour aller faire leurs démarches administratives à Saint-Nazaire et ça se passe très bien. Comme à Préfailles même où personne n'a à s'en plaindre ». Lancé dans le minibus, le sujet fait discuter les passagers, dont une majorité n'a pas d'avis tranché. « Pour ma part, cela ne me fait ni chaud ni froid », affirme Michèle. Moussa, quant à lui, se demande : « Pourquoi cela ne serait pas plus simple de leur donner un avenir à Calais, alors qu'ici ils viendront pour repartir là-bas ? ». Gilles avance : « On a d'autres problèmes. L'avenir de STX, par exemple [dont l'actionnaire sud-coréen est en faillite, NDLA], les résultats déficitaires du port, l'avenir de la centrale de Cordemais, etc. Les migrants, on en a déjà à Saint-Nazaire et ils ne défraient pas la chronique, on ne les voit même plus ».
Mettre la pression sur les élus locaux
Devant l'ampleur de la mobilisation des « anti » à Saint-Brévin, la Préfecture a commencé à lâcher. Le nombre de migrants de Calais, prévu à 70 au départ, a été ramené à « une cinquantaine ». Ce qui incite les opposants à continuer. La Préfecture précise par ailleurs que « 129 migrants de Calais sont déjà dans le département depuis l'an dernier, notamment, à Vertou, Gétigné, Clisson ou Saint-Herblain ».
Pour Nicolas Faure, Nantais et porte-parole du collectif LIEN qui coordonne l'opposition des petites communes aux arrivées de migrants imposés par le gouvernement, « la clé, c'est de mettre la pression sur les élus locaux. Le maire, le conseiller général, le député etc. Il ne faut pas les lâcher. Si à Gussignies, l'Etat a reculé, ce qui est une grande victoire, c'est que justement le maire avait pris la tête de la contestation ».
Ici, à Saint-Brévin, ce n'est pas le cas. Le maire, du centre-droit, Yannick Haury, ignore tant les tenants que les opposants au centre de réfugiés. Le département, socialiste, est favorable à l'accueil des migrants - qui fait partie de ses compétences. Et le président du conseil régional des Pays de Loire, de droite conservatrice et catholique, a été contacté par LIEN mais n'a pas donné suite, pris par d'autres obligations - dont la Manif pour Tous le 16 octobre à Paris.
Pour Nicolas Faure, « vider Calais, ce n'est pas justifié. Il n'y a pas à faire subir ce que font vivre les Calaisiens aux petites communes de France. Par ailleurs, à 95% les migrants veulent aller en Angleterre ». Il plaide pour une intervention de l'armée - impossible, car la Constitution ne l'autorise pas : « L'armée doit intervenir, séparer les migrants qui veulent l'asile en France des autres, et expulser ces derniers. Ils sont clandestins, la loi doit s'appliquer. Point ».
Reste à savoir comment faire revenir au pays des Syriens, Irakiens, Afghans, Erythréens et Somaliens qui constituent une bonne moitié de réfugiés de Calais et d'ailleurs. La loi française l'interdit, dès lors que le pays d'origine du réfugié n'est pas qualifié de « sûr », car il est en guerre ou c'est une dictature. Voire les deux.