Ces femmes magiques, ce sont, dans l'imaginaire collectif occidental, les femmes russes. Vous retrouverez le même descriptif archétypique dans le livre de Madeleine Leroyer intitulé 'Une vie de Pintade à Moscou'. Elle y évoque des femmes belles, fougueuses et hardies, fortes d'une « forme de féminisme réconcilié avec la féminité ». Je n'ai pas vraiment aimé l'interview de cette virtuose du verbe mondain parce que je n'aime pas les clichés et que son livre en est hélas truffé. Peut-on ceci dit lui en faire le reproche ? Je ne crois pas.
Généraliser signifie prendre des raccourcis. De un. Et de deux, les journalistes occidentaux sont atteints d'un étrange complexe de supériorité infondé qui fait que même des évocations a priori laudatives se font sur un ton vaguement condescendant. C'est un peu le cas de Mme Leroyer, mais ce n'est pas de sa faute. Elle incarne l'Europe. La civilisation. Même décoiffée, « en pantalon tir-bouchonné », elle reste élégante. Ah bon ? Mais enfin, passons. Les femmes russes ont beau être stylées ... il leur manque du style. Quoi qu'elles entreprennent, elles seront toujours ce que l'alter ego est à l'ego. Vision d'extérieur bien commode, au fond, mais un brin dénaturée.
Personnellement, cela fait des lustres que j'habite Moscou et le regard que je porte sur LES femmes russes est un regard d'aborigène sachant prendre un peu de distance quand le besoin s'en fait sentir. Et ce n'est pas tant la tenue des jolies blondes (ou brunes, ou rousses ...) qui m'intéresse que les valeurs auxquelles elles carburent et qui font d'elles ce que je qualifierais de femmes archéo-avangardistes. Ce n'est pas dans les médias que je suis allée cueillir cette définition mais à travers les multiples conversations que j'ai le bonheur d'avoir avec mes élèves de FLE.
Elles frisent la trentaine. Certaines sont mariées, d'autres aspirent à la vie de bohème. Leur point commun : elles travaillent toutes, beaucoup, peut-être même trop. Une d'elles, enceinte jusqu'au fond des yeux mais pas assez pour être en congé maternité, trouve la force et le courage de se pointer chez moi vers 19.30 avant de reprendre le volant pour aller ... dans la ville d'à côté. Une autre vient de divorcer. Du jour au lendemain. Un véritable Tintin en jupe. Un an de vie à Shangaï, encore un à Hong-Kong, des photos professionnelles de villages africains inexistants sur la carte, des récits passionnés sur les us et coutumes des tribus autochtones taïwanaises dont la crémation publique des corps ... Jamais je n'ai vu une telle ouverture d'esprit. Peu avant de larguer les amarres direction Thaïlande, cette gentille demoiselle a fait un saut à Munich. De retour, elle m'a lancée cette phrase inattendue : « Perso, je n'irais pas élever mes enfants en Allemagne ». Mais pourquoi donc, lui ai-je demandé ? - Il y a des salles de shoot dans tous les coins ! C'est malsain ... enfin, je ne sais pas, ajouta-t-elle, dans un élan de gêne ne sachant au juste ce que j'en pensais de mon côté. Son ex-mari est un « libéral ». Elle s'en moque bien, elle vit sa vie d'analyste financier et de globe-trotteuse insatiable. En revanche, quand on parlait toutes les deux d'invasion migratoire, elle s'indignait : « Mais comment se fait-il que les Français ne se sentent pas envahis ?! ».
Liouba et Ludmila sont du même genre. Sans enfants, l'une historienne de l'art, habituée des salons d'antiquaire parisiens, l'autre alpiniste, elles admirent la France de Brassens, du Général ou d'Aragon, mais cette admiration n'est en rien béate. Désabusées, elles incarnent l'autonomie spirituelle et intellectuelle d'une Russie citadine qui a vu le monde et qui a compris que le plagiat ne forgeait pas l'identité.
Galina est une charmante jeune femme de 33 ans. Venue de la Russie profonde, assistante-opérateur, divorcée avec un enfant de 10 ans, elle apprend le français vu qu'un tournage de longue haleine se prépare en France dès fin décembre, mais aussi parce que sa grand-mère, prof de chimie, lui avait transmis son amour d'un pays qu'elle avait connu grâce au petit écran et à Louis Aragon. Elle aussi c'est une bosseuse. Plus jeune, elle chantait Noël dans les églises. Comme bien d'autres Russes, Galina est croyante-pratiquante. Vivre à 200 km/h ne l'empêche pas de se lever tous les samedi à 6 heures pour assister à la messe.
Hélène est aussi typiquement atypique. Prof, elle a passé deux ans à Paris. Deux longues années chamboulantes. Elle avait quitté son pays natal « la haine dans le coeur » et elle en était revenue « la mort dans l'âme ». Le miroir aux alouettes s'est brisé comme un éclat de rire. Fière pour ne pas dire un tantinet orgueilleuse, elle supportait mal de s'être autant trompée. Belle, élancée, soignée dans le moindre détail, port de tête altier pour masquer une trop grande sensibilité, cette femme magnifique qui attend son prince charmant est d'une religiosité hors du commun. Le parallèle est vulgaire mais représentatif : elle connaît aussi bien ses prières que les marques de parfum qu'elle sait choisir avec brio. Intello jusqu'à la moelle des os, elle rêve d'une famille nombreuse.
J'ai rencontré il y a peu une jeune universitaire. 35 ans. Déjà docteur en histoire, spécialiste en histoire de la médecine et en bioéthique. Même phénomène : un peu sèche, un peu autoritaire, look garçonne avec, pour contraster, un mascara volumateur et un rouge à lèvre assorti à ses fringues, cette jeune femme rigidement cartésienne est profondément croyante. J'ai acquis cette certitude au moment où notre discussion dévia vers la médecine médiévale et ... les pirouettes bestiales des « chances de Marseille » qui piétinent l'essence chrétienne de la France. Encore un peu, j'aurais eu droit à un procès en hérésie (je plaisante !).
Les femmes russes attirent, c'est un fait. Mais de loin (ou de près), elles n'attirent plus tant pour leur beauté dont l'Europe occidentale a pris l'habitude que par leur paradoxe spirituel. Mme Leroyer a mis le doigt sur la touche quand elle parlait d'une « forme de féminisme » empreint de féminité. Prompt rectificatif : c'est moins du féminisme qu'une tradition matriarcale héritée des années d'après-guerre qui ne tient pas à l'affirmation du gender mais à une soif d'autonomie à toute épreuve. De la même manière, les femmes russes sont rationnellement tolérantes. Oui pour un bébé hors mariage, oui pour un amant jeunet ... enfin, je ne déclinerai pas tous les cas, oui pour un (e) copin (e) LGBT mais tant que celui (celle)-ci n'en fasse pas la promo à tout bout de champ. Oui pour les minorités, non quand elles envahissent l'aire identitaire russe. J'appelle ça de la tolérance rationalisée. C'est ce ratio marié aux convictions morales et à l'ouverture d'esprit que j'apprécie chez beaucoup de femmes russes et qui me rappelle, moi qui pleure la France des aïeux, nos chères mamies qui ont aujourd'hui l'âge des Bardot ou même des Darrieux.
Talons aiguilles ou basket, elles sont bien dans leur peau. Enfin ... presque toutes ... Une jeune splendeur versée dans la finance est partie en courant en apprenant que je me plaisais en Russie. Elle en a même oublié ses gants que je garde soigneusement pour ne pas oublier jusqu'où peut mener la sottise quand elle naît du complexe. Une autre, 19 ans à peine, s'est vite barrée quand elle a vu mon mur facebookien. La dernière phrase que je lui ai entendu dire, c'était à peu près ça : « Je vais m'engager en politique, il faut que la Russie soit aussi vivable que la Suisse ». Ça vaut ce que ça vaut en matière de réflexion, mais ça a au moins le mérite de refléter le côté passionaria d'une jeunesse effervescente qui côtoie ses aînés archéo-avangardistes.
C'est ce côtoiement qui détermine l'extraordianaire dynamisme de le féminité russe.