Pravda.ru. La Russie a dépassé les premiers exportateurs du blé au monde - Etats-Unis et Canada - étant passée au premier rang sur le marché mondial du blé. Et nous continuons d'accélérer. Comment expliquez-vous ce succès ?
Arcadi Zloçevski. Officiellement parlant, l'année agro-alimentaire dure du 1er juillet au 31 juin de l'année prochaine. Ce qui veut dire que pour l'année tout juste révolue, nous avons réussi à commercialiser 25 Millions de tonnes de blé. Vous avez raison : désormais nous occupons la première place sur le marché des exportateurs du blé. C'est un fait officiel ! Mais nous n'estimons pas cela comme un succès. Pour nous, il s'agit d'une réalité objective répondant à nos capacités de production et à notre nature. Nous ne faisons que nous rapprocher du potentiel préprogrammé pour notre pays.
Déjà, en 1993, à une conférence internationale, quand nous discutions des livraisons du blé américain en Russie, je me suis prononcé pour la première fois en déclarant que ces affaires sont sans perspective, car dans 10 ans nous allons exporter nous-mêmes. Les Américains me croyaient dingue et m'ont baptisé le « gogol russe », complètement à côté de la plaque. Ils avaient raison parce que je me suis trompé d'une année - en fait, nous nous sommes mis à exporter non pas dans dix ans mais juste dans neuf ans.
Pravda.ru. Vous êtes un visionnaire alors !
Arcadi Zloçevski. Que nenni ! C'est que je sais dépister les lois régissant le monde. Cela devait être réalisé et cela s'est passé comme prévu. Cela n'était qu'une question de temps !
Pravda.ru. Mais on nous a appris que la Russie se trouvait dans la zone agro-alimentaire à haut risque parce que trop au Nord...
Arcadi Zloçevski. Des balivernes et des sornettes tout ça. Il y va tout simplement de l'application des technologies requises pour se protéger contre les intempéries. Ces technologies, nous ne les avions pas auparavant. Nous ne pouvions nous protéger parce que ces technologies ne nous étaient pas encore acquises. Nous étions sans défense devant la nature. Tandis qu'en Amérique, ils le développaient depuis belle lurette et ils se protégeaient de façon efficace.
Il est à dire que jusqu'à nos jours, notre indicateur de production accuse toujours un retard par rapport à la moyenne mondiale. Ce qui n'est pas sans se répercuter sur les résultats. La sécheresse de 2010 nous a emporté 30% de notre moisson par rapport au niveau plannifié. En même temps, l'Amérique a connu la même sécheresse en 2013 avec seulement 10% de moisson perdue. C'est là où le bât blesse !
Pravda.ru. Et quelles sont les mesures que vous avez prises maintenant ?
Arcadi Zloçevski. A bien y regarder, les techonolgies agraires ont une plateforme bien conservatrice, d'une part, mais un niveau de recherche fort avancé, d'autre part. Les technologies abondent. Savez-vous quelles sont les technologies les plus importantes pour le secteur agraire ? Je crois que peu de gens le savent. Eh bien, c'est les technologies informatiques.
Pravda.ru. Pourquoi donc informatiques ?
Arcadi Zloçevski. Parce que c'est le premier violon de la production agraire. Les technologies informatiques ont de plus en plus la haute main sur l'agro-alimentaire. Elles s'incrustent dans le secteur à la vitesse grand V ! C'est à elles que tient l'efficacité y compris la protection contre les risques du mauvais temps. Il est également très important d'introduire le suivi par satellites, les systèmes de navigation de type JPS, le traitement des champs selon le principe d'îlotage ou approche individualisée.
Autrement dit, il faut tout calculer à 1 millimètre près et pas qu'en dimensions de largeur et longueur, mais aussi en profondeur parce qu'en semant vous devez également penser au régime de la protection des plantes, leur cycle végétatif. Nous semons maintenant de façon robotisée et pas comme nos bisaïeux qui éparpillaient le blé à tous les vents. Aujourd'hui il nous faut de la technique sophistiquée bien qu'elle s'avère être onéreuse, mais tout de même rentable.
Pravda.ru. Vous voulez dire que vos machines calculent tout en tenant compte des pronostics climatiques ?
Arcadi Zloçevski. C'est ça, oui ! Nous faisons tout cela en fonction de l'analyse du terrain, du climat de production agraire pour le district donné, le calcul du blé à semer en termes de rentabilité, etc. Il ya moult données fort savantes, mais soyez-en assurée, Chère Dame, tout est calculé à la règle ! Nos technologies se développent bien rapidement, ma foi ! Mais la majorité de nos fermiers sont en retard d'une guerre. Cependant, il y a des centres de production ponctuels qui se sont hissés au niveau mondial, déjà ! Mais une grande partie n'a pas encore réussi cette traversée : c'est l'argent qui leur manque ! C'est que ça coûte les yeux de la tête.
Pravda.ru. Et qui est donc le premier producteur du secteur agro-alimentaire russe ?
Arcadi Zloçevski. Les fermiers ont leur part bien considérable et cette part-là continue de croître. C'est tout de même beaucoup plus fonction de leur statut privilégié que des dimensions de production. Les petits propriétaires nous donnent plus de 25% du produit final en termes de blé. Et cette part continue de grandir parce que les coopératives agricoles se convertissent de plus en plus en fermes. Ces fermes sont toutes des sociétés anonymes, statut courant de nos jours, parfaitement conforme à la loi.
La production d'Etat a vécu, elle ! C'en est fini ! Dossier classé, car tout est privé maintenant. En gros, les entreprises appartiennent à une ou plusieurs personnes physiques. Il demeure quelques coopératives agricoles, mais peu nombreuses. Et même quand il y a une propriété collective, il y a toujours le propriétaire qui détient la part majoritaire et qui se retrouve aux commandes. Les silos à graines sont aussi tous en propriété privée.
Pravda.ru. Et vous croyez que c'est bien ?
Arcadi Zloçevski. En principe, oui parce que l'Etat n'a jamais pu assurer une bonne efficacité. Les propriétaires privés sont plus forts.
Pravda.ru. Qu'attendez-vous comme moisson pour cette année ?
Arcadi Zloçevski. La moisson doit vraiment crever le plafond. Tous les pronostics nous le prédisent. Quant aux calculs, le chiffre oscille entre 112 et 118 Millions de tonnes à moissonner. En période post-soviétique, nous n'en avons jamais produit autant. Mais ce n'est pas un record absolu pour la Fédération de Russie ! C'est que nous avons battu notre record à l'exportation - ça c'est bien vrai ! Nous nous sommes mis à faire usage de nos ressources de façon beaucoup plus rationnelle. Cependant, le record de production atteint en 1978 équivalait à 127 - 128,8 Millions de tonnes du blé moissonné sur tout le territoire russe. Je souligne - pas au niveau de l'URSS mais sur la superficie correspondant à l'actuel territoire de la Fédération de Russie. Alors vous voyez il y a encore du pain sur la planche pour atteindre ces indicateurs !
Mais sincèrement je crois que notre potentiel est autrement plus important. Mais il nous reste encore un bon petit bonhomme de chemin à parcourir pour apprendre à l'utiliser. C'est que le blé doit passer avant toute autre chose. Le blé représente les assises même de l'agriculture et de toutes les denrées à produire et à consommer par l'humanité. S'il n'y a pas de blé, nous ne garderons que du poisson dans l'océan et d'autres sources d'alimentation naturelle. Et nous savons pertinemment que la pisciculture accuse un niveau de saturation de production. On ne peut en produire plus parce que cela mènera à la catastrophe. Il nous restera, bien sûr, des champignons et des baies, mais il n'y en aura jamais assez pour tous. Alors, vous voyez, sans blé on ne peut pas vraiment grand'chose.
Un autre problème est que la production du blé stagnait après l'implosion soviétique. Une politique agraire vicieuse nous bloquait le potentiel. Si on réussisait à faire quelque chose c'était plutôt malgré que grâce aux programmes imposés. Il n'y avait que de courts délais temporels où l'Etat ne se mêlait pas de nos petites affaires ce qui nous permettait de réussir quelques succès. Je veux dire que nous n'avons besoin d'aucune aide ! Ne nous empêchez pas de nous développer - point, à la ligne !
Cependant, le bétail, lui, a tout gagné uniquement grâce au soutien d'Etat. Ca a été un projet national qui, finalement, a été converti en programme ministériel. Si ces décisions n'avaient pas été prises, alors là, aujourd'hui, nous n'aurions plus de bétail du tout. Vous voyez, tout dépend du secteur concret - il n'y a pas de solutions-miracle toutes faites, juste à déballer. Mais le blé est vraiment la base de l'agroalimentaire.
Pravda.ru. Vous voulez dire que vous n'avez besoin d'aucun programme d'Etat pour vous développer ?
Arcadi Zloçevski. Si ! Il en faut, mais la juste mesure, pas plus ! Le gouvernement le comprend, lui aussi. Ils comprennent également que la force motrice sont l'économie et la concurrence ce qui nous distingue de la viande où nous ne sommes pas encore très concurrentiels. Le blé est déjà bien développé. Nous battons nos rivaux à plate couture sur les marchés mondiaux.
Interview prise par Lyuba Lulko.