La Fédération de Russie passe à une nouvelle formule de sa présence dans la région Transcaucasienne. Il y va de la signature d'un traité sur la création d'une force armée mixte avec l'Arménie. Cet objectif a déjà été atteint avec l'Abkhazie.Alexandre Krylov, docteur ès sciences historiques, président d'un Conseil d' experts sur le Caucase a donné son commentaire exclusif à Pravda.ru.
- Alexandre, en quoi voyez-vous la nécessité de la signature d'un tel traité avec l'Arménie et l'Abkhazie ?
Alexandre Krylov. La Russie est appelée à donner une réponse adéquate aux menaces surgissant en permanence du côté méridional. Les accords régulateurs de nos relations militaires avec nos alliés y compris avec l'Arménie, sont signés dans le cadre de l'Organisation du Traité de sécurité collective, aussi bien qu'avec l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud où l'on est régi par des textes sur la coopération militaire.
Tout ça est lié à l'événementiel des contrées méridionales se trouvant au-delà du Caucase du Sud. Le processus de la désintégration et de la propagation de la zone d'instabilité est présent désormais aux marches de notre région ce qui n'est pas sans demander une réponse adéquate. L'ancienne forme de coopération des militaires appelant à l'interaction sans toutefois donner une définition exacte du mode d'emploi au cas où il y a vraiment une urgence, ne serait plus de mise. Les rapports entre les Alliés reposent sur les avals à obtenir pour tous les cas de figure. S'il y a une alerte rouge, les militaires russo-arméniens n'auront pas le loisir de définir leurs zones de responsabilité respectives, car la situation peut se dégrader et le temps manquerait cruellement.
C'est pourquoi il nous est vital de bâtir une verticale militaire bien nette où le rôle de tout un chacun sera bel et bien arrêté. D'où l'urgence de la construction d'un nouveau modèle qui pourrait donner une réponse autrement plus efficace à ces défis.
Cependant le défi principal se caractérise par les actualités en Syrie, en Irak et en Turquie. On en parle parce que, mis à part le problème kurde qui s'est envenimé, nous constatons également une instabilité grandissante de la situation intérieure en Turquie. Nous pourrions voir bientôt un développement de la conjoncture des plus inattendues.
Il faut toucher également un mot sur le facteur de Karabakh. Ce facteur peut être utilisé par les joueurs extérieurs dans leurs propres intérêts. Ces forces pourraient être tentées de mettre en valeur les deux tranchants c'est-à-dire tourner selon leur gré le conflit soit du côté arménien, soit le retourner contre Karabakh, en faisant rentrer le couteau dans la plaie. En avril dernier, nous avons constaté l'éclatement des hostilités militaires à une grande échelle dans cette région. Je crois que ce traité avec l'Arménie est aussi un message adressé à l'Azerbaïdjan pour qu'il fasse un peu plus attention. C'est vrai que le traité en question n'a trait qu'aux frontières officiellement reconnues et il ne saurait être appliqué à la région de Karabakh, mais tout de même il s'agit d'une amélioration de la coordination entre les armées russe et arménienne qui devrait jouer également un rôle d'endiguement aussi bien pour Ankara que pour Bakou.
Il est à prendre en compte que, le jour de la signature du traité, le ministre de la Défense de Russie Shoïgou a rencontré son homologue azéri. Ils ont débattu de l'interaction en cas de l'émergence d'une menace en provenance de la région Caspienne. Je crois que Bakou aurait également reçu quelques explications concernant la position russe sur le conflit de Karabakh. Il aurait été explicité que la Russie n'aurait nul intérêt de voir la conjoncture s'envenimer.
- Mais concernant le conflit de Karabakh pourrait-on avancer que le traité russo-arménien serait également un facteur d'endiguement pour l'Arménie elle-même ? C'est que s'il y a un nouveau conflit qui fuse au Karabakh, les actions de l'armée arménienne seraient entravées par la composante russe ?
AK. Ces dernières années, c'est sur sur les marches du territoire arménien que les conflits fusaient le plus souvent. Je n'ai qu'à mentionner le pilonnage du district de Tavush jouxtant l'Azerbaïdjan le long du tracé des frontières reconnues par la loi internationale. Cela a eu lieu à plusieurs reprises. Il nous faut comprendre qu'aujourd'hui, l'Arménie est sur la défensive et point le contraire parce qu'après la victoire de l'Arménie en 1994, un accord fut passé et le processus des négociations amorcé.
Il est à dire que les positions sur lesquelles campent les deux parties sont les suivantes : l'Azerbaïdjan serait intéressé par un package c'est-à-dire plusieurs problèmes réglés en bloc. En particulier, Bakou veut traiter le retour de Karabakh sous sa jurisprudence. L'Arménie, elle, table sur une solution échelonnée. Elle veut discuter du statut de ce territoire, pour, ensuite, procéder à la résolution d'autres problèmes et aboutir à un traité de paix.
Mais beaucoup d'eau a coulé sous le pont sans qu'aucun progrès n'eût été atteint, malheureusement. Les parties campent sur des positions extrêmement contradictoires. L'Azerbaïdjan en profite pour effectuer une pression accrue sur l'Arménie y compris sur le plan militaire aussi bien que politique d'ailleurs. Il s'agirait d'une stratégie de sa part pour faire bouger le statut-quo.
- Mais, à mon sens, la situation autour du Nagorny-Karabakh ne serait pas à décrire selon une formule bipartite « Azerbaïdjan - Arménie ». Il existe aussi la communauté représentée par les habitants de Karabakh à proprement parler. Il est à remarquer que le statut de Karabakh a beaucoup de pittoresque. Il me semble que le nouveau traité russo-arménien met Karabakh en marge des relations entre la Russie et l'Arménie en octroyant des garanties à Erevan, mais il n'en est rien à l'égard de Karabakh. Karabakh n'est pas Arménie. Cependant le conflit principal est bien celui entre la république auto-proclamée de Nagorny-Karabakh et l'Azerbaïdjan. L'Arménie n'est pas partie prenante dans ce conflit. Et, à bien y regarder, ce traité permet de mettre l'Arménie à l'abri d'une escalade sur son territoire.
AK. Le Traité a été bien tripartite, avec tous les participants, à savoir : Azerbaïdjan, Arménie et la république de Nagorny-Karabakh. Ensuite, L'Arménie a exclu Karabakh du processus ce qui est à considérer comme une grande victoire de la diplomatie azérie.
Cette situation est unique en son genre. Elle est liée au fait que le président de Nagorny Karabakh Robert Kocherian est devenu par la suite le président d'Arménie. Il a cru, apparemment, qu'il maîtrisait ce problème mieux que quiconque. Mais, en fait, ça a été une grande erreur qu'il avait commise aussi bien du point de vue de la diplomatie arménienne que pour la promotion de la pacification de la région. Quand bien même l'Arménie et l'Azerbaïdjan réussissent à avancer sur ce thème, qui pourrait y contraindre le Nagorny-Karabakh à suivre ces décisions ?
Alors vous comprenez que le traité dont on parle, ne vise pas à régler le problème de Karabakh mais plutôt à neutraliser les menaces venant de l'extérieur.
- Quelle pourrait être la réaction de l'OTAN et de l'Occident comm etel ? Quid des positions de la Géorgie et de l'Azerbaïdjan confrontés à la Russie se dotant d'une nouvelle infrastructure militaire comme l'assise de sa présence en Transcaucasie ? L'Iran n'est non plus à oublier !
AK. La réaction peut être très controversée. L'Iran n'est pas intéressé à déstabiliser les territoires limitrophes. La CE et la Géorgie ne peuvent avoir qu'une réaction ultra-négative. Mais on s'y est déjà fait à la longue ! Il est également à noter que la direction géorgienne représente encore une menace pour le Caucase du Sud. Les alliés de la Géorgie c'est-à-dire l'OTAN et les Etats-Unis, parviendront-ils à maîtriser l'islamisme radical qui y a déjà pris racine et est en train de renforcer ses positions ? De forts doutes subsistent.
Il est également à dire qu'en gros, sur le plan informationnel, les Etats-Unis, l'OTAN et la Communauté Transatlantique, au sens large du terme, traitaient l'Arménie et la Géorgie de façon différente. On s'efforçait à convaincre sans discontinuer que c'est déjà demain que la Géorgie pourrait accéder au statut du membre de l'OTAN avec toutes les garanties pour sa sécurité. Mais nous voyons qu'à partir de 2006 (cela aurait dû devenir l'année de l'adhésion de la Géorgie à l'OTAN), dix ans se sont écoulés, mais rien n'a été entrepris pour la défense ou la sécurité de la Géorgie.
Pour ce qui est de l'Arménie, ses alliés occidentaux ont toujours avoué (et il faut rendre hommage à leur honnêteté) qu'ils ne sont pas en mesure de sécuriser l'Arménie et ne sont pas à même de lui bailler une compensation financière à moins qu'elle ne change son orientation tournant le dos à l'Est. Les Occidentaux avançaient également qu'ils ne pourraient compenser toutes les pertes encourues par l'Arménie au cas où ses liens économiques avec la Russie s'effriteraient. Nous avons là un jeu beaucoup plus honnête qu'en Géorgie qu'on avait leurrée.
Alors vous voyez que la coopération russo-arménienne sur la sécurité et la défense a, de même, une composante géorgienne. Nous devons envisager la possibilité des événements les plus inattendus et les plus dramatiques sur le sol géorgien. La Géorgie n'est encore pas prête à riposter aux menaces qui se dressent, en premier lieu, grâce au retournement de la situation en Syrie.
- Alors la question se pose sur la possibilité de la création d'un troisième commandement mixte - cette fois-ci avec l'Ossétie du Sud. Eu égard à l'Abkhazie et à l'Arménie, un tel pas à franchir paraîtrait autrement plus logique. Y a-t-il des signes précurseurs quant à la signature du même traité avec l'Ossétie du Sud ?
AK. Je crois que ça ve se passer dans les plus brefs délais.
Propos recueillis par Dmitri Nersesov.