Il y a l'état visible, avec ses élus locaux, ses députés, son gouvernement qui font ou semblent faire la volonté des citoyens qui les ont élus. Et il y a l'Etat profond, ou « deep state », acquis au mondialisme libéral, constitué de structures anti-démocratiques, qui s'ingénie à contre-carrer la volonté des populations. On l'a vu à l'oeuvre en Angleterre et aux Etats-Unis, où il a été mis en échec à deux reprises, en Autriche et aux Pays-Bas où il a empêché les souverainistes d'arriver au pouvoir, et maintenant il resurgit en France, dont la campagne présidentielle ne ressemble plus à rien, entre hystéries, affaires et coups bas.
C'est du moins l'avis du magazine américain Counterpunch, qui consacre un long article aux élections présidentielles françaises. Passé inaperçu dans la presse française, il a été traduit et publié dans la blogosphère russe. Nous en ferons une traduction synthétique.
« Si les élections présidentielles aux Etats-Unis n'étaient pas assez horribles, en voilà d'autres, en France. Le système en France est très différent : il y a beaucoup de candidats, deux tours, la plupart des candidats expriment clairement et avec intelligence leurs idées, en discutant même de problèmes réels. Le temps audiovisuel gratuit diminue l'influence de l'argent. Le premier tour du 23 avril permettra de choisir deux finalistes pour le second tour le 7 mai, ce qui permet un choix bien plus large qu'aux USA.
Cependant, la classe politique dominante veut singer les pratiques de l'Amérique, jusqu'à répéter le mantra de l'automne 2016 outre-Atlantique : ce serait les méchants Russes qui mettraient des bâtons dans les roues de notre magnifique démocratie.
Le copier-coller du système américain a commencé dès le stade des primaires faites par les deux grands partis [l'article oublie celles des Verts, satellite électoral du PS - commentaire de l'Auteur], qui cherchent d'évidence à devenir l'équivalent des Démocrates et des Républicains américains. L'UMP française a déjà changé de nom en devenant les Républicains, tandis que le PS est à l'affût du moindre prétexte pour devenir les Démocrates. Pourtant cette fois-ci, il est probable que ni l'une ni l'autre ne l'emporte.
Compte tenu du mécontentement quasi général suscité par le gouvernement de gauche, les Républicains étaient tenus pour favoris de la présidentielle, après qu'ils auraient défait Marine le Pen qui devrait virer en tête au premier tour d'après tous les sondages. Avec de telles perspectives encourageantes, la primaire des Républicains a attiré deux fois plus d'électeurs que celle des socialistes. Pourtant Nicolas Sarkozy a été écarté, et ce qui est encore plus étonnant, le favori, Juppé, soutenu par l'establishment et les médias, a été écarté aussi ».
Fillon, l'homme respectable déconsidéré, le front républicain, la gauche divisée entre Hamon et Mélenchon.
L'article revient sur l'affaire Fillon, et le choix de celui-ci, un homme qui semble « respectable », un « catholique pratiquant qui défend une politique intérieure néo-libérale ». L'affaire Fillon a fait voler en éclats cette stature, même si le timing et les fuites organisées dans la presse semblent avoir été « choisis pour assurer la défaite de Fillon », relève le magazine américain.
Au passage, celui-ci allume le Front Républicain, qui prévoit l'union de la droite et de la gauche (l'UMPS) contre le FN pour empêcher celui-ci d'arriver au pouvoir... comme on l'a vu aux régionales, au détriment du PS en Provence et dans le Nord. « La peur du FN qualifié de danger pour la République est devenu une sorte de racket pour défendre les partis traditionnels. Par le passé ceux-ci participaient discrètement au renforcement du FN pour piquer des voix à leurs adversaires ».
Suite aux primaires de gauche, c'est l'apparatchik Benoît Hamon qui est devenu le candidat officiel du PS... en défendant un programme contraire au gouvernement PS en place depuis cinq ans. Cependant il n'arrive pas à se mettre d'accord avec Mélenchon, qui est certes une figure forte, mais dont les orientations (anti-UE et OTAN, pro-Chavez, favorable à un rapprochement avec Poutine, à une 6e République) sont très différentes de la ligne du PS, en dépit de nombreuses similitudes programmatiques.
Marine le Pen contre Mélenchon ou la renaissance du duel gauche-droite
« Parmi tous les candidats, il n'y a que deux personnalités fortes. Mélenchon à gauche et Marine le Pen à droite. Leurs positions en matière de politique étrangère sont peu différenciées : ils critiquent l'UE et l'OTAN et veulent de bonnes relations avec la Russie. Comme ils se distancient de l'opinion de l'élite, ils sont traités de « populistes ». Le terme désigne tous ceux qui fixent leur attention sur ce que veulent les gens plutôt que sur ce que veut l'establishment.
Marine le Pen veut conserver le modèle social et maintenir les droits des travailleurs ; elle est nettement plus à gauche que Fillon. Néanmoins le FN reste marqué au fer rouge « ultra-droite » par le système, bien qu'elle a poussé à la retraite son père et recentré la ligne du parti pour attirer le vote populaire. Du vieux FN il ne reste guère que le refus de l'immigration, qui est maintenant liée à la peur des terroristes islamiques. Les attentats de Paris et de Nice ont rendu ces considérations bien plus populaires qu'avant. Dans ses efforts pour rompre avec la réputation antisémite de son père, Marine le Pen a fait tout son possible pour obtenir les bonnes grâces de la communauté juive ; elle y est aidée par son refus des signes visibles de l'islam ; elle a même proposé d'interdire le voile.
Un second tour entre Mélenchon et le Pen serait un affrontement entre une nouvelle gauche et une nouvelle droite, et un abandon des idées mainstream. Cela rendrait à nouveau la politique intéressante », relève Counterpunch.
Macron, programmé pour gagner.
« Mais les élites néo-libérales pro-européennes et pro-OTAN font tout pour ne pas laisser se produire ce scénario. Sur chaque couverture de magazine, dans chaque émission politique les médias prouvent leur allégeance au « nouveau, et encore meilleur ! » candidat centriste, qui fait l'objet de la même publicité qu'un bien de consommation courante. Dans ses meetings, des militants jeunes bien endoctrinés font une standing ovation à chacune de ses promesses fumeuses, sous les objectifs des caméras, en scandant « Macron, président » et en agitant des drapeaux, avant de partir toucher leur récompense - une soirée en boîte. Bref, Macron est une création artificielle construite par les experts pour un objectif spécifique : gagner la présidentielle ».
Le journal américain revient sur le parcours d'Emmanuel Macron, banquier de chez Rotschild pris sous son aile par Jacques Attali en 2007, puis sur sa mission à Londres en 2012. Tandis que Hollande criait « mon ennemi c'est la finance » pour s'assurer les voix de la gauche du PS et des classes populaires, il expédiait Macron à Londres pour calmer les milieux financiers et leur assurer qu'il ne s'agissait que d'une promesse électorale qu'il n'avait pas l'intention de tenir.
Puis Macron est entré dans le gouvernement. « Avec son charme aseptisé de mannequin de supermarché, il a réussi à dépasser son concurrent colérique Manuel Valls dans la course silencieuse à la succession de Hollande. Macron a réussi à s'attirer les bonnes grâces des grands patrons, en rendant ses réformes de démolition du droit du travail « jeunes et progressistes ». Pourtant, il n'a fait qu'appliquer le programme d'Attali [...] dont le pivot est la compétitivité, donc la baisse du coût du travail. La façon classique de le faire est d'encourager l'immigration. Avec la montée du mouvement identitaire, il est possible de trouver des prétextes humanitaires pour encourager l'immigration de masse. C'est ainsi que les Démocrates américains et les socialistes français sont devenus partenaires dans la mondialisation, et ont changé la vision du monde des gauches : ils sont passés des mesures structurelles permettant l'égalité des classes à des mesures morales qui encourageraient cette égalisation.
Beaucoup quittent le navire socialiste qui est en train de couler. Ils vont chez Macron, qui a de nombreux points communs avec Hillary Clinton. D'ailleurs le point de vue des médias américains le confirme. Il suffit de regarder l'article de commande écrit par Robert Zaretski dans Foreign Policy, qui encense cet « homme politique anglophone, germanophile et attendu par l'Europe » qu'est Macron, pour ne plus avoir de doute que ce dernier est le chouchou de l'élite transatlantique »
Quoi qu'il arrive, accusez les Russes
Cependant, Counterpunch relève que la popularité savamment construite de Macron peut être détruite en un tournemain, si le peuple apprend qu'il est la marionnette des élites globalistes transatlantiques, et qu'il entretient des liens incestueux avec le système financier mondial.
Dans ce cas là, il y a une solution. Copier-coller les accusations anti-russes que faisait Hillary pendant la campagne présidentielle américaine. Si les français apprennent qui est Macron, c'est la faute des russes ! S'il perd, c'est encore la faute des russes ! Si Marine le Pen gagne, ce sont les russes qui ont piraté les bulletins de vote, et mis des nano-missiles dans les urnes électorales !
Par exemple, l'interview accordée par Nicolas Dhuicq dans le média officiel russe Sputnik est dans le collimateur. Le député UMP/LR de l'Aube avait frontalement attaqué Macron, en affirmant qu'il était soutenu par « un riche lobby gay » (dont le fer de lance est Pierre Bergé, fervent soutien de la gestation pour autrui) et que Macron était un « agent d'influence du système financier américain ». Dans la foulée, Sputnik s'est fait accuser d'homophobie, dans la continuation de la polémique sur les relations extra-maritales attribuées à Macron... et qu'il a démenties.
L'Etat profond à la manœuvre pour empêcher les Français de rompre avec le nouvel ordre mondial
« La reprise de la rhétorique anti-russe américaine en France montre l'importance de la lutte de titans pour conserver le contrôle médiatique - la version mondialisée, massivement consommée par des gens qui n'ont pas le temps de se faire leur propre opinion. C'est un élément clé du soft power. Le hard power, le pouvoir dur, fait la guerre et met à bas les gouvernements. Le soft power, le pouvoir doux explique pourquoi c'était bien de le faire. Les USA peuvent faire tout ce qu'ils veulent en toute impunité tant qu'ils peuvent raconter une histoire qui défend leurs intérêts, sans risque d'être contredits de façon convaincante. Les services secrets inventent des histoires, les médias les racontent.
Ensemble, les sources anonymes de l'Etat profond et les médias de masse aux mains des entreprises ont pris l'habitude de contrôler le discours médiatique et refusent de perdre cette influence. Pis, ils ne veulent pas se faire remettre en cause par des étrangers comme le sont les médias russes, qui font état d'une toute autre réalité.
C'est la raison fondamentale de la campagne ultra-violente contre les médias russes et indépendants, accusés d'être la source de « fake news ». Le but est de discréditer les sources concurrentes. L'existence même de la chaîne TV russe RT a provoqué une hostilité immédiate : comment ces russes osent-ils contredire notre version de la réalité ? Comment osent-ils avoir leur propre opinion ? Ce que nous disons nous [les médias mainstream], c'est la vérité, ce qu'ils disent, eux, ne peut être que de la propagande.
La campagne d'accusation contre les « fake news » qui seraient fabriquées à Moscou bat son plein à l'approche des élections en France et en Allemagne. C'est justement cette chasse aux sorcières qui est une ingérence dans le processus électoral, et non la présence de médias russes. L'accusation selon laquelle Marine le Pen est le « candidat de Moscou » n'est pas seulement destinée contre elle mais est aussi le préavis d'une révolution de couleur [du type printemps Arabe ou Maïdan en Ukraine, c'est à dire un coup d'état pro-occidental accompagné d'émeutes et de troubles massifs dans le pays, financé par des agences américaines ou des grands capitalistes comme Soros] si elle gagnait le 7 mai prochain.
Alors qu'il n'y a aucun danger russe pour l'Europe, les accusations comme quoi les médias russes s'ingèrent dans la démocratie européenne légitiment l'important renforcement de l'OTAN en Europe orientale, ce qui participe à relancer le nationalisme allemand et à rediriger les richesses nationales dans le complexe militaro-industriel.
D'une certaine façon, les élections françaises sont la continuation des élections américaines, où le « Deep State » a perdu son candidat, mais pas son pouvoir. Les mêmes forces sont à l'oeuvre, soutenant Macron à l'instar de Hillary Clinton outre-Atlantique, mais capables de traiter n'importe quel concurrent d'agent d'influence russe.
Ce qui se passe ces derniers mois en France confirme l'existence d'un « Deep State » qui n'est pas seulement national, mais transatlantique et cherche à devenir global. La campagne anti-russe est un aveu. Elle confirme pour beaucoup de gens l'existence réelle du « Deep State » - c'est l'orchestre transatlantique qui joue les mêmes airs, sans chef visible. Le terme même de « Deep State », ou d'état profond, apparaît dans les discussions comme une réalité intangible, même s'il est difficile de lui donner une définition précise. Son pouvoir est énorme, mais reconnaître qu'il existe est le premier pas pour se débarrasser de son joug ».
Counterpunch, USA